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Lettre d’un poète tunisien à la langue française

A l’approche du 18e Sommet de la Francophonie, organisé par l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dont la Tunisie est membre fondateur, qui se tiendra à Djerba, les 20 et 21 novembre 2021, l’écrivain franco-tunisien Tahar Bekri réfléchit dans ce billet sur ses liens avec ses deux langues d’écriture, aussi nécessaire pour lui l’une que l’autre, car comme le disait Arthur Rimbaud «Je est un autre», nécessairement.

Par Tahar Bekri *

Écrire dans la langue de l’Autre et faire sienne cette même langue est, certes, une situation inconfortable pour un écrivain, surtout quand la langue de son pays est une langue aussi prestigieuse et riche que l’arabe, mais la littérature a cela de profond qu’elle nous donne à découvrir nos semblables, nos frères, bien que la langue qui la porte soit un pays qu’elle habite.

Au-delà des circuits linguistiques (bilinguisme dans mon cas), cette situation – où les passions ne sont pas encore apaisées, le seront-elles un jour ? – nécessite dans mon contexte, c’est-à-dire, la Tunisie et le Maghreb en général, une pudeur, celle de l’invité qui, habité par une haute mémoire, tente de dire à son hôte, dans sa propre langue, la diversité et l’unicité du paysage humain.

Les mots pudiques de l’invité

Pour cela, l’invité a emporté avec lui ses mots et leurs couleurs, ses accents et ses rythmes, ses signes, sa syntaxe et ses odeurs, sa respiration et son souffle, ses images et ses légendes et ses rêves comme cadeaux, offrandes bien modestes, mais combien précieuses car elles sont son corps et sa langue, l’âme de son être, sa vie.

Or cet écrivain est susceptible, comme tout invité qui se respecte, car il porte avec lui sa langue, celle de ses ancêtres, sa terre qui lui colle à la semelle et pour tout l’or du monde, il ne peut, il ne veut la laisser au seuil de la maison hospitalière.

Cet invité a peur que sa visite fraternelle ne se transforme en une séance pour le dépouiller, lui, qui n’a que ses mots pour dire son humanité. Et c’est la grandeur de son hôte que de veiller à respecter ses luttes contre le silence, parfois au prix des reproches des siens, ses longs voyages, ses peines dans la distance, ses lettres de noblesse, ses combats pour porter sa voix jusqu’à lui. Il ne faut, dès lors, limiter la langue à un support.

Si une voix court tant de pérégrinations, c’est qu’elle attend au bout du voyage une écoute. C’est cette écoute qui me paraît urgente car, au-delà du support linguistique, cet invité voudrait dire à son hôte que toutes les langues se valent et que toute langue perdue est une part de l’Homme qui s’en va.

Créer sa propre langue

Tous les hommes sont responsables de la mémoire humaine. Et afin que ne s’installe une confrontation entre les langues qui a poussé pendant la période coloniale, l’écrivain algérien Malek Haddad à s’écrier : «La langue française est mon exil», seul doit primer le respect de la langue, des langues, de chaque peuple.

Seul le choix libre offert à un écrivain peut donner une écriture libre ! Seule cette liberté me semble valoir la grande aventure de l’esprit humain qu’est l’écriture, capable de créer sa propre langue, au sein de n’importe quelle langue, où qu’elle soit, d’où qu’elle vienne, vers où elle se dirige !

* Poète tunisien de langues arabe et française vivant à Paris.

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