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Tunisie : Zitouna TV, la vraie histoire d’une chaîne hors-la-loi

Des cris d’orfraie se sont élevés hier, mercredi 6 octobre 2021, pour déplorer la confiscation des équipements d’une chaîne de télévision parce qu’elle était très critique à l’égard du président de la république Kaïs Saïed et de s’inquiéter de l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie. Cette information ayant été largement diffusée dans les médias occidentaux est tronquée sinon totalement fausse. Voici les faits…

Par Ridha Kéfi

On fera d’abord remarquer que ces voix qui s’inquiètent de l’avenir de la liberté d’expression en Tunisie sous le règne d’un atroce dictateur appelé Kaïs Saïed ne se sont pas exprimées à partir de l’étranger ou à travers des médias étrangers mais bel et bien en Tunisie et dans des médias tunisiens, privés et publics. D’ailleurs, depuis hier, on n’entendait que ces voix sur toutes les stations de radios et les chaînes de télévision développant des thèses plus saugrenues les unes que les autres, tordant le cou à la vérité et multipliant les contre-vérités. Avez-vous jamais connu dans l’histoire de l’humanité une dictature qui se laisse si copieusement dénoncer et insulter, qui plus est injustement, du matin au soir, par ses opposants les plus virulents et les «droits-de-l’hommistes» de service, toujours prompts à voler au secours des personnes les plus interlopes et à servir les causes les plus louches, et en plus à travers les médias nationaux, TOUS les médias nationaux ? Des «dictateurs» comme Kaïs Saïed, on aimerait bien en voir beaucoup sous nos cieux…

Une chaîne émettant illégalement ses programmes depuis 2012

Cette première mise au point faite, passons aux faits tronqués par ces chers défenseurs de la liberté et des droits. Ce que ces derniers se gardent de dire c’est que la chaîne dont les équipements ont été confisqués hier, Zitouna TV en l’occurrence, émet illégalement ses programmes depuis sa création en 2012 et que la décision de sa fermeture a été prise par l’instance de régulation audio-visuelle, la Haute autorité indépendante de la communication audio-visuelle (Haica), une instance constitutionnelle et une institution de l’État, et ce depuis 2014, mais elle n’a pas pu la faire exécuter par la force publique, c’est-à-dire par le parquet et la police, parce que ces institutions étaient sous le contrôle du parti islamiste Ennahdha, au pouvoir jusqu’à l’annonce des «mesures exceptionnelles» par le président Saïed, le 25 juillet dernier. C’est ce parti, on l’a compris, qui assurait la protection de ladite chaîne directement contrôlée par ses dirigeants et toute vouée à sa propagande et à sa défense contre ses adversaires, lesquels sont calomniés et diffamés tous les jours qu’Allah fait, du matin au soir, en toute impunité.

L’argent sale coule à flot dans les caisses noires d’Ennahdha

Pourquoi la Haica a-t-elle pris la décision de fermer cette chaîne, qui n’est d’ailleurs pas la seule dans cette situation ? Cette décision a été prise en dernier recours et après avoir envoyé plusieurs avertissements à la direction de Zitouna TV lui rappelant la nécessité de lui faire parvenir un dossier complet précisant la composition de son conseil d’administration et de son capital et ses sources de financement, et de signer le cahier des charges relatif au secteur et qui constitue l’ensemble des engagements légaux et déontologiques censés assurer son fonctionnement selon les règles auxquelles sont soumis tous les autres médias audiovisuels. Or, non seulement tous ces avertissements sont restés lettre morte mais toutes les sanctions prononcées contre la chaîne suite à ses graves dépassements éditoriaux n’ont pas pu être appliquées, car Ennahdha, usant de son pouvoir sur tous les gouvernements qui se sont succédé depuis 2012, s’est toujours interposé et a empêché leur application. On a même assisté, il y a quelques années, à une scène révoltante : le présentateur de la chaîne déchirant en direct la lettre de la Haica informant sa direction de la nécessité de se conformer au décret-loi n° 116 de l’année 2011 relatif à la liberté de la communication audio-visuelle.

La bonne question à poser et que personne ne pose dans le concert des indignations est la suivante : pourquoi la direction de cette chaîne ne veut-elle pas livrer ses secrets à l’instance de régulation? Pourquoi garde-t-elle secret la composition de son conseil d’administration et de son capital et refuse-t-elle de révéler ses sources de financement, sachant qu’elle est totalement privée de publicité, et pour cause : elle est illégale et les annonceurs, quand bien même ils le voudraient bien, par opportunisme ou par lâcheté, ne pouvaient pas mettre de l’argent dans une… boîte noire ?

Les islamistes achètent la complicité des petites âmes corruptibles

En fait, ce que tout Tunis sait et tait – et que nous avons écrit à plusieurs reprises dans ce journal – c’est que cette chaîne est financée par des fonds occultes, c’est-à-dire par l’argent sale qui coule à flot dans les caisses noires des dirigeants islamistes et qui leur permet de financer des associations soi-disant caritatives et culturelles, de distribuer des aides sociales la veille de chaque élection, d’acheter la complicité des petites âmes corruptibles et de truquer ainsi les résultats des scrutins. Ces faits ont aussi été révélés, quoique en termes plus policés et plus voilés, par les membres du bureau de la Haica, mais les responsables politiques et gouvernementaux faisaient semblant de ne pas les avoir entendus.

Hichem Snoussi, membre de la Haica, a d’ailleurs rappelé, dans un entretien, hier, avec Shems FM, ce qu’il avait déjà dit à plusieurs reprises au cours des dernières années, à savoir que Zitouna TV est une boîte noire. Et pour cause : des dizaines de milliards de dinars ont été dépensés depuis sa création par Oussama Ben Salem, fils de l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur, feu Moncef Ben Salem, co-fondateur d’Ennahdha, lui-même membre du Conseil de la choura d’Ennahdha, qui en assurait la direction. Cet argent provenait de fonds dont la provenance est inconnue, a-t-il assuré, en ajoutant que la Haica avait demandé à maintes reprises à la Banque centrale de Tunisie (BCT) des informations sur les flux d’argent dont bénéficiait Zitouna TV, mais ses demandes sont restées étrangement sans réponse.

Tout cela pour dire que non seulement la confiscation des équipements de Zitouna TV est amplement justifiée du point de vue du droit, de la morale et de la déontologie de l’information, mais cette confiscation aurait dû avoir lieu depuis… 2014. Il reste bien entendu à demander des comptes ou du moins des explications à tous les responsables gouvernementaux qui l’ont empêchée au cours des sept dernières années.

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