Nous avons reçu de l’ambassade de Turquie en Tunisie le droit de réponse suivant signé par l’ambassadeur Çaglar Fahri Çakiralp à notre article « Tunisie-Turquie: le commerce inégal, le commerce illégal » signé par Samir Gharbi. Le droit de réponse reproduit ci-dessous est suivi des explications de la rédaction…
Par la présente, j’aimerais bien corriger les informations fautives que contient cet article et aussi clarifier certains points qui ne reflètent pas la réalité en ce qui concerne les relations de commerce bilatéral entre les deux pays, amis et frères.
Tout d’abord, en 2019, le volume du commerce bilatéral entre ces deux pays a atteint plus d’un milliard de dollars dont 886 millions de dollars pour les exportations turques vers la Tunisie et 190 millions de dollars pour les importations tunisiennes (il fallait lire « turques », erreur contenue dans la lettre de l’ambassadeur, Ndlr) de cette dernière. Au cours de cette période, la part des biens de consommation était seulement au niveau de 18,83% (167 millions de $). Par contre, la part des biens d’investissement ont atteint 10,39% (92 millions de $) et celle des biens intermédiaires 70,72% (627 millions de $) (source : Institut de statistique de Turquie).
Comme démontrent clairement ces statistiques, la part des biens d’investissements et intermédiaires sont largement majoritaires par rapport aux biens de consommation. En d’autres termes, en 2019, 81,11% des importations tunisiennes de la Turquie étaient des biens d’investissement et intermédiaires, entre autres pour les industries de textile, de plastiques, de quincailleries et d’électroménager.
Dans ce cadre, il ne faut pas oublier le fait que la Turquie, en tant qu’un fournisseur important de l’industrie tunisienne en termes de biens d’investissement et produits intermédiaires, un très bon rapport qualité/prix aux entreprises tunisiennes par rapport aux marchés européens et de l’Extrême-Orient. Ces chiffres non seulement montrent la contribution positive de la Turquie à la production industrielle tunisienne, mais également la confiance des acteurs économiques de la Tunisie envers les producteurs turcs.
De même, il est indispensable de rappeler que la Turquie fait partie de la zone de libres échanges (il s’agit ici de l’Union douanière qui est le niveau d’intégration le plus élevé pour un candidat avant l’adhésion) de l’Union européenne (UE) depuis des décennies, et qu’elle réalise plus de la moitié de son commerce avec cette dernière. Par conséquente, le niveau de conformité des produits turcs aux normes européennes et internationales s’élève à 100% en particulier EN et ISO. D’ailleurs les produits d’origine turque qui sont notamment connus dans le monde entier par leur haut niveau de qualité, fiabilité et durabilité, sont aussi tout à fait conformes au cadre législatif technique et au système de normalisation de la Tunisie.
Il est aussi à noter qu’en tant que membre de l’Union douanière, à part la conformité aux standards et aux normes européens de production, la Turquie qui a totalement adopté l’acquis communautaire dans les domaines concernés, est également soumise à une supervision sanitaire, douanière, fiscale et bancaire.
Par ailleurs, les allégations selon lesquelles la Turquie n’importe pas de dattes de la Tunisie ne reflètent pas la réalité non plus. Contrairement à cela, les importations (il fallait lire « exportations » , erreur contenue dans le a lettre de l’ambassadeur, Ndlr) de dattes tunisiennes vers la Turquie ne cessent d’augmenter au fil des années (2,2 tonnes en 2018, 2,7 tonnes en 2019 et 3,6 tonnes en 2020). En outre, dans le cadre de l’accord de libre-échange tuniso-turc, cinq mille tonnes de dattes d’origine tunisienne sont exonérées de droits de douane. Pour contribuer à l’utilisation totale de ce quota, des rencontres B2B ont été organisées par l’ambassade de Turquie en mars 2021. Il est toujours à rappeler que ce n’est pas la faute de la partie turque si les exportateurs tunisiens de dattes ne peuvent pas remplir ce quota de cinq mille tonnes par an. De plus, la Tunisie a pris la quatrième place parmi les exportateurs de l’huile d’olive vers la Turquie en 2019.
Dans ce contexte, il est essentiel de souligner que la Turquie attache la plus haute importance à l’objectif de parvenir à un commerce bilatéral équilibré avec la Tunisie. Pour cela, la Turquie continuera à être un partenaire viable et indispensable de la Tunisie dans les domaines économiques et commerciaux aux niveaux bilatéral et internationale.
Réponse de la rédaction :
Nous remercions l’ambassade de Turquie pour sa contribution, par sa réponse à l’article de Samir Gharbi, au débat sur les échanges commerciaux (*) entre la Turquie et la Tunisie.
Il est d’abord important de préciser que l’acheteur (importateur) tunisien a plus de responsabilités dans ces échanges inégaux que l’exportateur turc.
Le commerce tunisien est équilibré avec ses principaux partenaires européens (France, Allemagne, Italie), signe que l’échange «inégal» des années 1960 et 1970 a été remplacé par un échange bien compris dans l’intérêt des parties : «je te vends et je t’achète» «tu me vends et tu m’achètes».
Or, avec la Turquie, depuis 2011, année durant laquelle l’islam politique a pris le pouvoir en Tunisie, à travers le parti Ennahdha, allié de l’AKP au pouvoir en Turquie, précision utile s’il en est, le commerce a été facilité pour les acheteurs tunisiens avides de commerce et de profits : ils achètent «turc» parce que ce n’est pas cher. Qui dit «pas cher», dit de faible qualité… Ce qui ne veut pas dire que tous les produits turcs sont de qualité médiocre, mais, comme c’est le cas de la Chine, il y a une grande gamme de prix, selon la qualité.
Les Tunisiens importent des produits à bas prix qui tuent, par une concurrence anarchique, l’industrie locale, l’artisanat local, l’agriculture locale…
Ce n’est pas le problème ou la faute de la Turquie. Mais, messieurs de l’ambassade turque, vous n’avez qu’à vous rendre dans les villes tunisiennes autrefois prospères par leurs entreprises industrielles : textiles, plastique, quincaillerie, papier, alimentaire… Ces entreprises locales sont sinistrées, si elles n’ont pas fermé à cause des importations massives à bas prix de la Turquie et de la Chine, les deux pays avec lesquels notre pays a des déficits commerciaux les plus élevés. Et ce n’est sans doute pas un hasard. Et ce, sans comptabiliser les importations massives de produits turcs et chinois ramenées de la Libye voisine via le circuit de la contrebande transfrontalière.
Les commerçants tunisiens s’en foutent de la santé du tissu industriel et agro-alimentaire tunisien, pourvu qu’ils amassent des profits en achetant facilement des produits de toutes sortes : des brioches, des glibettes, des sauces, des jupes, des culottes, des jus, des biscuits, du chocolat, des corn-flakes made in Turquie. A cela s’ajoutent toute la quincaillerie, robinetterie, chaudières, etc.
Vous appelez cela «biens d’investissement» et «biens intermédiaires»… Nous appelons cela des «biens de destruction massive» du tissu industriel tunisien que l’Etat et le secteur privé ont mis plus de vingt ans à bâtir (année 1960 – 1970 – 1980). Ces biens représentent, selon vos statistiques, 81% des achats tunisiens en 2019, le reste (19%) étant constitué de biens (surtout alimentaires) de consommation. La Tunisie était un pays exportateur de biens alimentaires, bizarrement, elle est devenue importatrice de ces mêmes biens… de la Turquie. Chercher l’anomalie? Une nouvelle «race» de commerçants a émergé au cours de ces dix dernières années pour supplanter la «race» des industriels.
Si cela continue, la Tunisie deviendra dans dix ans un simple «supermarché» (164 000 km²) des produits chinois et turcs…
Concernant les chiffres que vous avez cités de source officielle turque, il y a un important décalage avec les chiffres officiels tunisiens.
Année 2019 :
- Importations tunisiennes (exportations turques) = 2 862 millions de dinars tunisiens, soit en dollars (taux BCT : 1 $ us = 2,9331 dinars, taux moyen de l’année 2019) : 975 millions de dollars; bien inférieur au montant que vous citez : 886 millions de dollars.
- Exportations tunisiennes (= importations turques) = 396 millions de dinars tunisiens, soit en dollars (taux BCT 2019) : 135 millions de dollars; bien inférieur au montant cité par vos services : 190 millions de dollars.
Autres précisions statistiques qui ne peuvent être qualifiées, comme vous le dites, d’allégations : les exportations tunisiennes de dattes vers la Turquie sont dérisoires. Selon l’INS, ce chapitre ne dépasse pas 100 000 dinars (soit 34 000 dollars). Celui de l’huile d’olive ne dépasse pas 400 000 dinars (136 000 dollars).
Pour le moment, à moins que cela n’existe que dans les coulisses diplomatiques, les Tunisiens espèrent que votre conclusion devienne réalité : «La Turquie attache la plus haute importance à l’objectif de parvenir à un commerce bilatéral équilibré avec la Tunisie.»
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(*) Il ne s’agit ici que des échanges de marchandises, non compris donc les «services» sachant que les Tunisiens dépensent beaucoup de devises en Turquie : tourisme et transferts financiers (fret aérien, gestion aéroportuaire)… qui figure dans la balance des «invisibles».
Nous profitons de cette occasion pour lancer un appel pressant aux autorités tunisiennes (INS, BCT) pour rendre publique les balances de paiements par pays…
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