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La Tunisie du «régime des partis» au «pouvoir d’un seul»

L’association Nachaz (Dissonances) organise sa rencontre finale de l’année le samedi 25 décembre 2021 à partir de 9H30 du matin à la Bibliothèque Nationale de Tunisie (salle de conférence « Tahar Haddad »). Elle portera sur le thème : «2021 : une année particulière». Nous en reproduisons ci-dessous le document d’introduction au débat.

Plus personne ne parle de transition. Ce mot (d’ordre) fétiche de notre post-révolution a longtemps été compris comme le plus court chemin entre la Révolution et la démocratie. Mais avons-nous jamais été en transition ? Ce qui est établi c’est que nous n’avons jamais quitté la zone de turbulence postrévolutionnaire, vécue il est vrai de différentes manières…

Les turbulences sociales sont à nos yeux des signes de vitalité dans la mesure où elles renforcent les capacités d’auto-défense de la société. Quant aux turbulences politiques qui ont ponctué la décennie morte, elles sont d’une toute autre nature. Elles tiennent plus des convulsions d’une génération politique en fin de parcours qui a conduit le pays à l’impasse.

Nous l’avons dit avant cette rencontre : la sortie de cette impasse a précipité le pays dans une autre voie sans issue. Le tout sur fond de pandémie toujours recommencée.

Un populisme bavard, velléitaire et inquiétant

L’année 2021 semble reproduire en accéléré les bruits et les fureurs de 10 ans de cette transition qui n’en est pas une. Tout y est : le dévoiement de la constitution et des institutions ; la fin de règne de l’islam «politicien» (comme dit un politologue) ; le populisme bavard, velléitaire et inquiétant, et enfin le spectre du «pouvoir d’un seul», animé par le ressentiment contre le «régime des partis» et de proche en proche contre tous : islamistes et séculiers, politiciens corrompus et démocrates, figures indifférenciées d’une élite « fantasmée ». Il s’agit, pour ne pas le nommer de Kaïs Saïed, enfermé dans l’ivresse placide d’un état d’exception long comme une nuit blanche.

Cette atmosphère a pesé sur tous les acteurs de la société civile, qui nous importe en premier, parce qu’elle a brouillé les conditions de possibilité d’un débat démocratique dans le pays : à peine esquissé, il n’a cessé de tourner court, ce débat se cherche encore…

A Nachaz, nous avons mal vécu les entraves à notre action occasionnée par la pandémie. Il nous faut reconnaître aussi que nous avons été comme d’autres tétanisés par les mesures présidentielles. Un moment dans l’expectative, puis déroutés par les atermoiements, nous ne pouvons consentir à l’autocratie, «transitionnelle» ou durable, que
Kaïs Saïed entend finalement nous imposer.

Les débats de Nachaz qui étaient en passe de devenir un rendez-vous démocratique assez couru, ont subi un coup d’arrêt. Car n’en déplaise au Président de la République qui veut «vendre» au pays un «débat» et un plébiscite électroniques, l’espace virtuel est un complément ou un relais et ne saurait se substituer au débat démocratique véritable qui suppose une co-présence et la circulation de paroles vives.

Nos enquêtes aussi ont été contrariées par ce contexte peu propice au déploiement libre de la recherche. Nous avons dû nous adapter aux contraintes de cette année particulière.

De tout cela il sera question dans le premier volet de cette journée, animée par Mohamed Khenissi, président de Nachaz. Le deuxième volet sera consacré à la situation du pays.

La grande espérance du 17/14 escamotée

Le premier sens du 25 juillet est le dévoilement de l’incurie de la classe politique qui a capté l’héritage de l’ancien régime et œuvré à escamoter la grande espérance du 17/14.

Nous avons assez répété qu’à trop focaliser sur le droit, nous avons oublié le social. Ou plutôt que le juridisme procède de l’enfouissement de la question sociale. Toujours est-il, et les juristes les plus sérieux l’ont tous souligné, la lecture et l’usage présidentiel de l’article 80 de la Constitution, sont pour le moins abusifs, Quant au décret 117 du 22 septembre, il inverse carrément la hiérarchie des normes. Une désinvolture sans précédent dans les annales du droit et de la politique en Tunisie.

Faut-il oublier pour autant que le coup de force du 25 juillet n’est pas advenu dans un ciel serein ?

Il est venu sanctionner la déconfiture des protagonistes d’une «transition» qui a semé tant d’illusions et dont on a pu constater les dégâts : une ARP devenue le théâtre de toutes les turpitudes, son président retranché dans son bureau comme dans un bunker, un gouvernement abandonnant la société à elle-même au plus fort de la pandémie.

En contre-champ de cette faillite à ciel ouvert, la dégradation de la situation sociale devait déboucher sur les émeutes de janvier dans les quartiers populaires de la capitale et ailleurs. Celles des petits frères des insurgés d’hier, réprimés par une machine policière et judiciaire qui ressemble comme une sœur à celle de Ben Ali. Comme un remake (à une échelle certes réduite) de la scène de 17/14 que personne n’a vu venir.

C’est l’intrication de ces deux contextes qui a rendu possible le 25 juillet et les dérapages (in)contrôlés dans lesquels le pays semble entraîné depuis. Un passé devenu insupportable et un avenir littéralement incertain : notre pays campe au milieu de ce double bind.

Maher Hanin nous proposera une lecture politique de cette double impasse. Au préalable, Oumayma Mehdi, qui a participé activement à la préparation et à la réussite du récent CMSC, fera le point de la situation sociale dans le pays. Et pour une mise en perspective de l’imbroglio juridique, nous avons invité un juriste reconnu, notre ami Slim Laghmani.

Rendre visible ce que la société officielle essaie de taire

On l’aura compris, la question sociale est la préoccupation majeure de notre association. Une question entendue dans toutes ses dimensions.

La politique et ses aléas, c’est pour nous un souci constant, mais le retour au terrain social est au cœur de notre vocation. Dans cette optique nous avons confié à notre ami Imed Melliti, la coordination d’une enquête sur les nouveaux visages de l’inégalité. Une enquête qui tombe à pic. Comme l’a écrit ce dernier : «Il s’agit surtout, de rendre visible ce que la société officielle essaie de taire et d’occulter et ce que les politiques sociales d’Etat ne peuvent voir à cause de la préemption de leurs grilles de lecture. Plus concrètement, il s’agit de rendre visibles des types de populations qui souffrent de leur invisibilité et qui la vivent, souvent, comme une forme de non-reconnaissance absolue. L’examen des parcours diversifiés des individus issus de ces populations permet d’en saisir la portée sociologique paradoxale, allant tantôt vers l’hypothèse d’une domination implacable ; tantôt vers celle des compétences critiques et des capacités d’émancipation.»

Nous donnerons donc la parole, l’après midi de cette journée, à Imed Melliti et à deux autres chercheurs de l’équipe, Kaouthar Graïdia et Mohamed Slim Ben Youssef, pour une première restitution de leur travail en résonance avec le contexte politique et social de notre pays.

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