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Tunisie : Kaïs Saïed croise le fer avec Noureddine Taboubi

Qu’il est loin le temps où le candidat à la présidence Kaïs Saïed cherchait le soutien de Noureddine Taboubi et de son organisation !

Noureddine Taboubi, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), a lancé au président de la république Kaïs Saïed : «Si vous voulez une bataille sans pitié, nous y sommes prêts, car nous n’avons pas le choix.» C’est là une manière de lui dire que l’affrontement entre les deux parties aura lieu dès que les conditions sociales en seront réunies.

Par Imed Bahri

Jouant sur les mots «adhama» (grandeur) et «idham» (os), le président de la république, Kaïs Saïed, a déclaré, lors du conseil des ministres tenu jeudi 23 décembre 2021 : «Nous œuvrons pour la grandeur de notre pays et voulons la mort des grands. Nous ne parlons de briser les os de personne», dans une limpide allusion à la déclaration du secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, où il disait, en s’adressant aux hauts responsables du pays : «Si vous voulez une bataille sans pitié, nous y sommes prêts».

Le président de la république, qui affectionne les formules grandiloquentes et les petites phrases assassines, a voulu répliquer ainsi au secrétaire général de l’organisation syndicale, qui déclarait, la veille, dans un discours prononcé lors des travaux de la Conférence nationale des femmes travailleuses que le syndicat ne trahira pas la patrie et les travailleurs, en disant : «Si vous voulez une bataille pour la prospérité, le progrès et la construction, le syndicat sera à l’avant-garde, mais si vous voulez une bataille sans pitié, nous y sommes prêts, car nous n’avons pas le choix.»

La logique présidentielle du seul contre tous

Rappelons, dans ce contexte, que les relations entre le président de la république et le dirigeant de la centrale syndicale se sont beaucoup détériorées depuis l’annonce des «mesures d’exception» le 25 juillet dernier et sont passées d’un soutien critique à une franche opposition qui traduit une mésentente de plus en plus difficile à contenir par l’un et l’autre, le président de la république ayant montré une grande rigidité dans ses relations avec tous les acteurs de la scène politique, sans exception, rejetant toute proposition de dialogue national émanant de quelque partie que ce soit.

Dans son cavalier seul, qualifié de suicidaire par beaucoup d’observateurs, le président Saïed est en train de s’enfermer dans une logique de seul contre contre tous, accaparant tous les pouvoirs, alors que le pays traverse la plus grave crise économique de son histoire contemporaine et que la marge de manœuvre financière du pouvoir exécutif est très étriquée.

L’inévitable affrontement est seulement reporté

Certes, M. Saïed peut momentanément profiter de la division de la scène politique, où le parti islamistes Ennahdha ne parvient pas à constituer un front commun avec les partis libéraux, centristes et de gauche, qui le considèrent comme le principal responsable de la crise où se morfond le pays. Aussi, tout en s’opposant eux aussi aux «mesures d’exception» de Kaïs Saïed, refusent d’unir leurs forces à celles des islamistes, sans pouvoir constituer eux-mêmes un front d’opposition fort et crédible face au chef de l’Etat. Ce dernier peut encore profiter, quelque temps, de la division de ses opposants, mais pour avoir fait le vide autour de lui, il risque de se retrouver très bientôt face à une grogne populaire que les mesures d’austérité contenues dans la loi de finances 2022 ne manqueront pas d’alimenter. C’est la menace de cet inévitable affrontement qu’agite depuis quelques jours M. Taboubi en lançant au locataire du palais de Carthage : «Si vous voulez une bataille sans pitié, nous y sommes prêts, car nous n’avons pas le choix.»

Le fait que la loi de finances 2022, dont les ressources restent encore à trouver, ait été adoptée hier en conseil des ministres sans avoir été rendue publique ni débattue préalablement (le parlement étant gelé) prouve s’il en est besoin que le gouvernement a préféré faire un passage en force, quitte à mettre tous les contribuables, citoyens et entreprises, devant le fait accompli. Et cela, on l’imagine, aura des conséquences, car, en cas d’aggravation de la situation générale dans le pays, qui est déjà peu reluisante, c’est le président de la république qui en assumera seul la responsabilité… comme un grand, lui qui rêve sans cesse de grandeur et pose devant l’Histoire.

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