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Où va la Tunisie en 2022 : Kaïs Saïed fait sa «révolution bolchevique»

La Tunisie demeure en transition et le restera encore pour un certain temps car l’enjeu pour l’étape qui commence est de savoir si Kaïs Saïed va réussir à imposer sa révolution bolchevique appelée «projet de la Nouvelle construction» ou pas? 

Par Chedly Mamoghli *

Kaïs Saïed comme je l’ai écrit précédemment (La Tunisie ne peut pas s’offrir le luxe de la lenteur) prend tout son temps comme s’il avait l’éternité devant lui alors que le pays ne peut plus attendre, que l’Etat n’a pas de quoi financer son budget et que les entreprises et établissements vitaux du pays (Steg, Sonede, Pharmacie centrale et Office des céréales…) vont droit à la faillite si rien n’est fait mais telles ne sont pas les priorités de M. Saïed. Il est ailleurs. Nos priorités ne sont pas les siennes et ses priorités ne sont pas les nôtres.**

Kaïs Saïed prend tout son temps pour imposer vaille que vaille, discrètement et méthodiquement, sa révolution bolchevique qu’il appelle «la Nouvelle construction». C’est sa priorité et celle de ses partisans qui attendent leur heure.

La «Nouvelle construction» est en marche

M. Saïed a, hélas et un million de fois hélas, manqué son rendez-vous avec l’Histoire (transformer le pays après l’annonce des «mesures d’exception», le 25 juillet dernier) et nous a fait rater un moment historique et une opportunité précieuse qui auraient pu constituer un tournant décisif pour notre pays afin de renouer enfin avec la prospérité et la stabilité.

Rêveur, idéaliste et se croyant investi d’une mission messianique, pour lui, quoi qu’il advienne, quoi qu’il en coûte et peu importe le temps que ça prendra (tant pis pour le pays et sa situation économique difficile), son projet doit aboutir et être traduit dans la réalité.

Nous sommes préoccupés par le sauvetage financier et la relance économique du pays, lui est habité par l’avènement de sa révolution bolchevique qu’il appelle pour l’adoucir et ne pas nous heurter la Nouvelle construction.

Il fait perdre du temps pour le pays mais gagne du temps pour lui. Et pendant ce temps, il pousse ses pions doucement mais sûrement un peu partout. Les Bolcheviques de Saïed prennent le pouvoir vaille que vaille, on l’a vu pas plus tard il y a trois jours avec le gouverneur de Tunis, Kamel Fekih. Il est surnommé Staline et pas seulement pour la moustache mais pour le discours radical qu’il véhicule (une vidéo circulant sur la toile en témoigne).

Saïed pousse ses pions dans l’administration

Pour calmer notre anxiété et dissiper les doutes de la communauté internationale et surtout des Américains, allergiques aux gauchistes, il a nommé Najla Bouden, une brave dame, posée et sans couleur politique à la Primature. A mon humble avis, son gouvernement aura une courte vie à l’instar de celui d’Alexandre Kerenski, le bourgeois qui a dirigé la Russie entre la chute de Nicolas II et l’avènement des Bolchéviks.

Mme Bouden est dans ce rôle de faire-valoir transitoire. Quand les choses vont se gâter, elle sera sacrifiée politiquement. Elle sera le bouc émissaire et l’un des Bolcheviques de Saïed la remplacera. Le président entérinera ainsi son projet par un référendum populaire qu’il croit pouvoir imposer à la communauté nationale et internationale. «Echaab yourid» (le peuple veut), répètera-t-il à qui voudra encore l’entendre.

Saïed et ses larbins de service sont convaincus que leur projet aboutira. D’ailleurs, après l’avènement de leur «révolution bolchevique» qu’ils appellent la Nouvelle construction, l’inénarrable et très dangereux Ridha Chiheb Mekki (alias Ridha Lénine), l’éminence grise autoproclamé du président, veut changer le système monétaire et mettre en place deux monnaies, une monnaie interne et une autre pour les échanges extérieurs et il prétend que ceci nous libérera de la soumission vis-à-vis de l’étranger.

Les idiots utiles pensent que parce qu’il a écarté les islamistes, M. Saïed a le droit de faire ce qu’il veut. Il a mis les islamistes hors-jeu (momentanément?), il faut donc lui faire une confiance aveugle, lui donner un chèque en blanc et le laisser faire ce qu’il veut du pays comme si c’était son jouet.

Rien n’est fait pour redresser l’économie du pays

Non les godillots, ce n’est pas parce qu’il a écarté les islamistes que nous le laisserons faire ce qu’il veut. Le problème n’est pas sa personne, l’homme est courtois, poli et même doux quand on échange avec lui. Il est aussi intègre mais le problème est avec son projet dangereux et destructeur. Son image ne peut pas servir de faire-valoir pour nous imposer une révolution bolchévique qui sera brutale et fatale pour nous et pour notre pays.

J’espère que la réalité, les tendances lourdes du pays, les constantes de notre histoire nationale, la position géopolitique de la Tunisie et la vigilance de la communauté internationale ne permettront pas l’avènement d’une telle «révolution» dont l’humanité a constaté l’échec sous toutes les latitudes.

Pour ma part, je préfère regarder la réalité en face et affronter cette tentative de changement de régime par effraction que me réfugier dans le whishful thinking et encore moins dans la politique de l’autruche. Le déni de réalité est le choix des faibles qui la fuient par manque de courage mais elle finit toujours par les rattraper. Sinon, je suis convaincu que la relance économique et le redressement du pays ne se feront pas avec Kaïs Saïed. Nous perdons notre temps et notre énergie. Ça fait plus de cinq mois qu’on l’alerte et rien n’a été fait car l’homme est ailleurs et, comme mentionné précédemment, ses priorités sont autres et son idée fixe c’est l’imposition de son projet.

Je conclurai sur une note personnelle même si je sais qu’il ne lit pas ce que nous pouvons écrire et que ça ne lui est pas transmis mais au cas où, je souhaite lui dire que le respect pour sa personne est intact mais que politiquement le divorce est consommé. L’intérêt supérieur du pays est au-dessus de tout.

* Juriste.

** Le titre et les intertitres sont de la rédaction.

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