Dans un article consacré à la Tunisie paru dans son dernier numéro, Jeune Afrique titre : «Kaïs Saïed compte épingler 20 000 hauts responsables», une affirmation qui semble tenir de la supputation plus que de l’information, car ce chiffre représente à peu près le nombre total de cadres de l’ensemble de l’administration publique.
Par Imed Bahri
L’article en question évoque la guerre que mène actuellement le président de la république contre la corruption, et qui demeure pour le moment purement incantatoire.
«Le chef de l’État tunisien s’apprête à demander des comptes à 20 000 responsables des sphères publiques et privées qui ont été en poste ces vingt dernières années durant la dernière décennie du régime Ben Ali, puis celle de la révolution, dès 2011», écrit le magazine parisien, en citant de bien vagues «sources à la Kasbah», siège du gouvernement.
Tous les corrompus doivent rendre des comptes
Cette «bande» de présumés corrompus, auxquels Kaïs Saïed voudrait demander de rendre des comptes, comprend, selon le magazine «des hommes d’affaires ayant des ‘créances accrochées’ (impayées auprès des banques)», mais aussi «les PDG des banques publiques et privées, les responsables gouvernementaux étatiques, dont les ministres et les gouverneurs, mais aussi tous les grands noms du secteur privé.»
Cela fait beaucoup de personnes qui «devront démontrer qu’ils ne se sont pas rendus coupables d’exactions financières ou d’enrichissement illicite», croit savoir Jeune Afrique, en ajoutant que les avoirs de ces présumés corrompus «seraient confisqués jusqu’à ce que chaque dossier soit examiné et que chacun apporte la preuve de son innocence.»
S’il n’ y a aucun doute sur les intentions du président Saïed, qui parle ouvertement depuis un certain temps de l’assainissement d’un pays gangrené par la corruption, dont la soi-disant transition démocratique est en train de dégénérer en une tragi-comédie et qui est désormais au bord de la faillite, incapable de trouver des bailleurs de fonds pour financer son budget de l’Etat pour l’exercice en cours, c’est le chiffre avancé de «20 000 hauts responsables» qui nous semble quelque peu exagéré. A moins que les «fins limiers» du palais de Carthage n’aient brassé large, en additionnant les listes de malfrats en cols blancs souvent publiées par les réseaux sociaux et dont les dossiers d’accusation, une fois remis entre les mains des juges, ne tiendraient pas la route et seraient balayés d’un revers de la main.
Kaïs Saïed entre impatience et impuissance
Cette opération «Mani Puliti» à la Tunisienne aurait d’autant plus de mal à aboutir que M. Saïed peine à y entraîner des magistrats qu’il ne cesse d’accuser de manquement à leur mission voire de complicité active avec les lobbys politiques et les groupes d’intérêt. Ce «bras de fer» entre le président de la république et les instances représentatives de la justice, notamment le Conseil supérieur de la magistrature (CSM), et qui commence à prendre l’allure d’une chasse aux sorcières, «s’est transformé en guerre ouverte, avec les juges, qui refusent de traiter des affaires sans preuves ou de revenir sur les dossiers déjà traités voire jugés», écrit d’ailleurs Jeune Afrique, qui peut se montre, au passage, très indulgent vis-à-vis des juges.
Ces derniers se barricadent, en effet, derrière leur soi-disant indépendance pour se dérober à leur responsabilité dans la lutte contre la corruption, condition sine qua non pour la réussite de la transition démocratique, ou pour assurer l’impunité à ceux d’entre eux qui sont mouillés jusqu’au cou dans des affaires peu ragoutantes. La démocratie naissante en Tunisie étant en passe d’être dévoyée par un corporatisme de mauvais aloi,
D’où, d’ailleurs, l’impatience que montre le président de la république dans les interminables monologues, seule forme de communication politique qu’il affectionne, et qui traduit, en réalité, un sentiment d’impuissance face à l’ampleur de la tâche et les faibles moyens dont il dispose pour la mener à terme.
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