L’état d’urgence vient d’être prorogé de dix mois, dans une Tunisie en crise, qui retient son souffle et appréhende l’avenir, lequel n’a jamais été aussi flou et incertain, avec une crise carabinée où les problèmes politiques, économiques et sociaux se conjuguent et se nourrissent mutuellement, instaurant un très fort malaise qu’aucune lueur d’espoir ne vient dissiper.
Par Imed Bahri
L’état d’urgence a été prorogé du 19 février au 31 décembre 2022 sur l’ensemble du territoire en vertu du décret présidentiel n° 2022-73 du 15 février 2022, publié au dernier numéro du Journal officiel de la République Tunisienne (Jort).
Une année particulièrement chaude
Déclaré le 24 novembre 2015, à la suite de l’attentat terroriste qui a visé un bus de la sécurité présidentielle, au centre-ville de Tunis, tuant 12 personnes et en blessant 16 autres, l’état d’urgence a été a été renouvelé sans interruption depuis. Le 18 janvier dernier, il a été prolongé d’un «seul» mois. Mais cette fois, la présidence de la république a jugé nécessaire de le prolonger jusqu’à la fin de l’année en cours, soit pendant 10 mois. Que peut en déduire d’une telle décision, sinon qu’à Carthage et à la Kasbah, on estime que l’année en cours va être particulièrement chaude, et ce pour plusieurs raisons.
D’abord, la crise économique qui perdure, avec des clignotants tourjours en rouge (inflation, hausse des prix, baisse du pouvoir d’achat, chômage galopant, entreprises en difficulté, licenciements massifs…).
Une crise sociale qui s’aggrave sans perspective d’amélioration de l’atmosphère morose qui règne dans le pays, les syndicats, dont les revendications matérielles ne risquent pas d’être satisfaites, se tenant en embuscade, prêts à craquer l’allumette.
Une crise politique qui s’éternise, avec un président de la république qui, fort d’une insolente popularité attestée par les sondages d’opinion, accapare tous les pouvoirs (législatif, exécutif et même judiciaire), sans apporter les solutions nécessaires qu’on attend de lui ni rassurer sur ses intentions une opposition, certes très divisée, mais qui fourbit ses armes et se tient prête à en découdre.
Le retour à la «normalité démocratique»
Les rendez-vous politiques de cette période de transition (référendum populaire sur les réformes constitutionnelles et politiques à mettre en œuvre, le 25 juillet, puis élections législatives anticipées, le 17 décembre) laissent présager quelques troubles que la crise socio-économique pourrait alimenter.
Et pour ne rien arranger, les pressions extérieures (notamment de la part des Etats-Unis et de l’Union européenne, principaux partenaires de notre pays) sur le président Kaïs Saïed pour l’amener à accélérer le retour à la «normalité démocratique» suscitent, à l’intérieur, des inquiétudes et alimentent des résistances, qui pourraient aller crescendo.
Beaucoup, notamment les islamistes du parti Ennahdha et leurs alliés objectifs de la gauche caviar, misent sur ces pressions pour déstabiliser le président et l’empêcher d’aller plus avant dans son projet d’assainissement de la scène politique et de la vie publique, espérant se remettre ainsi en selle et reprendre leur place au centre de l’échiquier dont ils ont été chassés par l’annonce des «mesures exceptionnelles» le 25 juillet dernier.
En toute évidence, la balle est dans le camp de Kaïs Saïed et l’avenir du pays dépendra de sa capacité à résister à toutes les pressions, à ne pas se contenter de réagir aux critiques et de justifier ses choix, et à prendre des mesures courageuses susceptibles de rétablir la confiance, de remettre les Tunisiens au travail et de relancer la croissance économique, talon d’Achille de la jeune et fragile démocratie tunisienne.
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