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Géostratégie : L’Australie, si lointaine et si proche à la fois

Etrangement, l’Australie, si éloignée de l’Europe de l’Est, a pour caractéristique de produire de très grands volumes de blé, comme l’Ukraine. Ce pays décentrée et isolé pourrait profiter de la nouvelle donne géostratégique pour susciter de nouvelles relations commerciales avec l’Europe, mais pas seulement. Des pays comme l’Egypte, la Tunisie ou le sultanat d’Oman, si dépendants des exportations de blé pourrait constituer des marchés intéressants pour le blé australien.

Par Jean-Guillaume Lozato *

La récente affaire de l’annulation du contrat pour l’achat de 12 sous-marins français et l’annonce concomitante du pacte Aukus entre les Etats-Unis, le Royaume-Uni et l’Australie, suivie de la sortie médiatique du Premier ministre australien Scott Morrison au sujet des îles Salomon, son proche voisin en proie à des émeutes violentes où il a envoyé des troupes pour aider à préserver «la paix et la stabilité, ont fait parler de l’Australie dans l’actualité internationale, fait inhabituel. Mais la brûlante actualité russo-ukrainienne a rapidement détourné notre attention d’une nation perdue entre Océan Pacifique, Océan Indien et Antarctique, qu’il faudrait pourtant tenir à l’œil économiquement.

L’Histoire économique est ponctuée de phases de croissance et de récession. Certains économistes, à l’instar de Kondratieff, ont instauré l’idée de cycle dans les pensées contemporaines.

La microprudence et l’approche macroprudentielle, paramètres et vecteurs de contagion financière, regroupent une foule de facteurs. Prévisibles ou insaisissables.

Le décalage général

Etats-Unis et Europe se sont souvent partagé le premier rôle; l’Asie s’étant invitée en guest-star en 1997-1998. Justement, l’Australie est apparentée, parfois à contre-sens, à ces trois points du globe. De plus l’Australie se positionne en balancier du concret à l’abstrait, entre géopolitique et géodésie. Proximité géographique avec l’Asie; proximité idéologique avec l’Ouest du Vieux Continent, appartenance au Bloc Occidental marqué par l’Atlantisme.

Dans ce sillage, la santé économique de chaque pays sera dure à cerner. Impression renforcée par une nation aussi éloignée que l’Australie.

Belles vagues, surfeurs fascinés, faible taux de chômage. Exotisme accentué sur les plans animalier et botanique. Tableau idyllique, chameur. Trompeur aussi. Quelques spécificités interviennent alors. L’expression «overseas» résume la situation : immensité territoriale excentrée, isolement de la population répartie inégalement.

Conséquemment aux évolutions climatiques, pandémiques, géopolitiques, cette vue d’ensemble se trouble. Modification possible par l’entremise de la finance; changement par la géopolitique, le commerce; évolution par les aléas climatiques et sanitaires. Le premier volet de cette hypothèse de transformation s’initie avec la monnaie nationale dont la volatilité et la dépendance à tout type d’externalité définissent un bien dangereux apanage. Le dollar australien diffère de son homologue américain; son système boursier est moins perfectionné. La désynchronisation monétaire n’est donc pas l’unique fait des fuseaux horaires…

Une logistique défaillante

Parallèlement à cette vie financière, boursière, spéculative, l’identité économique australienne est conditionnée par une étroite alliance géopolitique/commerce international. Puis par l’inadéquation structurelle aux exigences d’acheminement – point essentiel comme l’a démontré les retards générés par le blocage du Canal de Suez il y a quelques mois – ou de finition définie par les standards mondiaux.

Pour ce qui est du secteur secondaire, l’industrie ne compte que pour 15% du PIB. Les domaines concernés s’apparentent à une économie trop spécialisée donc très sensible aux fluctuations du marché. Fait non compensé par un marché intérieur faible car dépendant d’inégalités criantes de localisation du peuplement. En tenant compte du fait que les habitants sont attirés essentiellement par le secteur tertiaire. Ce dernier étant hypertrophié et comptant pour 70% du PIB. Cela conjugué à une logisitique défaillante, on a un profil de pays faisant penser à un pays en voie de développement (PVD) aux exportations trop ciblées (par exemple la noix de macadamia).

Pour compléter cette obsrevation des points faibles en présence, il est impératif de mentionner les aléas climatiques désormais de plus en plus rapprochés : la ville de Darwin en 1974 quasi détruite, l’Ouragan Tracy, le cyclone Veronica en 2019. Sans compter les impressionnants feux forestiers, les périodes de sécheresse intense, dans un pays à la politique environnementale molle. L’évolution se fait attendre écologiquement et économiquement.

Vers une mise à l’écart ?

Il est urgent de mieux connaître cette contrée lointaine, plus grand territoire d’Océanie, afin d’éviter une catastrophe de très grande ampleur.

L’isolationnisme peut se construire, se renforcer du fait d’un changement de polarisation dû à l’émergence d’un Quart Nord-Ouest du Pacifique. Accentuant la différence entre Pacifique Ouest Asiatique et Pacifique Est Etats-unien.

L’Australie représente un maillon faible de l’équilibre mondial. Veillons à ne pas négliger des éléments au départ insignifiants car pour le moment non connectés entre eux. Si jamais une mise en correspondance s’opère, cela risque de créer une crise d’une amplitude comparable à celle de 2008.

L’éloignement dans l’espace et dans le temps peut au mieux différer des sensations. Beaucoup plus difficilement annihiler les effets. La meilleure façon d’y faire face sera de les contourner méthodiquement. Nous sommes en phase initiale d’un processus. De la désagrégation à la déflagration?

Si l’on pense que l’APEC, dont l’Australie est membre, représente 62% de la production et 48% du commerce mondiaux… Au vu du diagnostic général, l’Australie n’offrirait pas toutes les garanties. Les Australiens ont l’habitude de consommer massivement. Le corollaire pourrait en être le recours massif au crédit de consommation, tout comme les Etats-Unis avaient connu un afflux de crédits immobiliers.

Autre point commun avec les Américains : l’apparition d’émeutes raciales. A la différence que l’Australie, dont justement beaucoup de trusts dépendent de l’Amérique par l’entremise de l’actionnariat, souffre d’une amputation de sa crédibilité aux yeux de bien des partenaires, investisseurs ou prêteurs potentiels; une caractéristique déterminante comme l’avait soulevé à Genève l’économiste italien Claudio Borio au moment de ses prévisions de l’arrivée de la… crise des Subprimes !

La nation des kangourous et des koalas se doit de se doter au plus vite d’un appareil bancaire et boursier apte à saisir les subtilités de l’intermédiation par la titrisation, tout en réaménageant son territoire et se mettant à jour écologiquement. Et pourquoi pas en innovant par la diversification de ses partenariats?

En effet, une crise majeure est envisageable avec la Chine en proie avec les erreurs d’Evergrande, le capitalisme est remis en question dans l’opinion publique chilienne et au-dessus de tout ça, le Japon se montre de plus en plus distant.

Etrangement, l’Australie, si éloignée de l’Europe de l’Est, a pour caractéristique de produire de très grands volumes de blé, comme l’Ukraine. Alors pourquoi ne pas réagir immédiatement en suscitant de nouvelles données commerciales avec l’Europe, ou encore des pays comme la Tunisie, l’Egypte, ou le sultanat d’Oman ? Pour le bien de tous.

* Enseignant de langue et civilisation italienne et écrivain.

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