Tunisie : Pour une politique étrangère réconciliée avec ses principes fondateurs

La Commission consultative pour la Nouvelle République instituée par le président de la république Kaïs Saïed et présidée par Sadok Belaid doit dès maintenant accorder au dossier de la politique étrangère de la Tunisie l’attention qu’elle mérite. Elle doit rompre avec les méthodes de Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution (Hiror) instituée lors du tsunami politique de janvier 2011 et qui avait pratiquement négligé ce dossier majeur pour notre pays.

Par Raouf Chatty *

Plongés dans les soucis quotidiens et contradictions de la politique intérieure, et avançant sans véritable programme ni feuille de route, les autorités et les responsables politiques tunisiens ont,  durant les dix dernières années, mis en veilleuse la politique étrangère et la diplomatie et ne leur ont jamais accordé l’importance qu’elles méritent.

Pour extrêmement important qu’il soit, le dossier n’a et bizarrement jamais fait l’objet d’un débat national ou d’une réforme de quelque nature qu’elle soit. Il a été souvent balloté entre plusieurs intervenants et a évolué au gré des pressions politiques internes et des aléas de la conjoncture régionale. Les gouvernements, souvent dominés par le parti islamiste Ennahdha ou évoluant dans sa sphère, s’en étaient souvent servis à des fins partisanes répondant à leurs intérêts du moment.

Une diplomatie marginalisée et en perte de vitesse

Au plan international, la diplomatie tunisienne a largement pâti de cette marginalisation, perdant  progressivement ses repères traditionnels hérités du temps du leader Habib Bourguiba et s’est  embourbée malgré elle dans de multiples contradictions qui la dépassent. Elle a été victime de la situation intérieure en Tunisie et a beaucoup perdu de sa vigueur et de son efficacité, allant ainsi de recul en recul, faisant progressivement perdre à notre pays la place qu’elle avait du temps  de Bourguiba et de Ben Ali sur les plans régional et international.

Les efforts déployés par l’appareil diplomatique tunisien, en dépit de ses ressources modestes, pour préserver les constantes de notre diplomatie visaient tout au plus à sauver les meubles, à limiter les  dégâts et ne pouvaient raisonnablement redresser le cours des choses.

Nos diplomates ramaient à vue. Ils étaient souvent desservis par l’instabilité politique persistante  dans notre pays, avec ses crises internes, politique, sécuritaire, économique, financière, sociale et culturelle, voyant ainsi se dégrader progressivement son image et sa crédibilité sur la scène internationale. Ceux qui leur demandent aujourd’hui monts et merveilles doivent savoir que nos diplomates se sont mus ces dernières années et se meuvent toujours dans des environnements plus que jamais éprouvants, concurrentiels et difficiles, leurs missions rendues très dures par la dégradation de la situation politique et économique dans notre pays.

La Tunisie inquiète aujourd’hui ses voisins du nord

Pourrait-il en être autrement lorsque on sait qu’en onze ans le champ politique intérieur était carrément devenu mouvant, précaire et instable au point ou la Tunisie, portée au pinacle par les pays occidentaux dans les premiers mois qui ont suivi la révolution de janvier 2011, est depuis quelques  années devenue une préoccupation sérieuse de la communauté internationale et un véritable casse-tête pour ses voisins, notamment les pays du sud de l’Europe…

Au plan intérieur, notre diplomatie a été automatiquement impactée par la dégradation de l’environnement politique interne. Ceux qui la critiquent font semblant d’ignorer qu’elle paye depuis quelques années le prix fort des crises politiques internes et des dissensions entre les tenants du pouvoir, et notamment des divergences de vues entre la présidence de la république et celle du gouvernement. Celles-ci se disputant chacune le dossier des relations internationales dans un esprit de surenchères vis-à-vis des puissances étrangères, La Tunisie devenant pratiquement et progressivement le terrain de nombreuses ingérences extérieures dans ses affaires intérieures.

Une intolérable tolérance des ingérences étrangères

Depuis des années, on ne compte plus les visites de hauts responsables et d’envoyés spéciaux des puissances occidentales en Tunisie, États-Unis d’Amérique et Union Européenne en tête, qui viennent prendre le pouls de la situation, exprimer des réserves sur les choix politiques du pays ou donner des conseils amicaux à ses dirigeants.

Profitant, à un titre ou à un autre, des espaces de liberté en Tunisie et souvent de la tolérance des ingérences étrangères de la part de nos gouvernants, des missions diplomatiques, des organisations internationales, gouvernementales et non gouvernementales, sont devenues des acteurs incontournables sur le terrain, disposant de réseaux d’influences constitués de Tunisiens et de Tunisiennes.

Sans stratégie claire ni feuille de route, notre diplomatie a, au cours des dix dernières années, évolué au gré des conjonctures politiques intérieures et des aléas de notre proximité géopolitique et espace identitaire, aboutissant souvent à des prises de positions contradictoires, parfois au détriment des principes et constantes de la Tunisie depuis son indépendance en 1956, lesquels sont fondés essentiellement sur le respect de la légalité internationale, la neutralité positive et la défense des intérêts de notre pays.

Cette grave lacune tient au fait que ni ceux qui ont pris les commandes après la révolution ni ceux  qui étaient dans l’opposition ne se sont sérieusement saisis de la question ni compris les véritables enjeux de la politique étrangère ni les dividendes que notre pays pourrait en tirer s’il avait su mettre à profit ses nombreux et puissants atouts et cesser de s’autoflageller, de se quereller et de desservir les intérêts supérieurs du pays. 

Ressourcer la Tunisie dans son environnement méditerranéen

En effet depuis l’élaboration de la Constitution de janvier 2014, aujourd’hui pratiquement abrogée par le président Kaïs Saïed dans le droit fil des attentes de larges franges du peuple, le pouvoir issu des rangs des islamistes était à côté de ses pompes. En se refusant de mentionner textuellement la dimension méditerranéenne de la Tunisie dans cette constitution, il s’était trompé superbement sur la vocation de la Tunisie et de son peuple. Sa gestion des affaires étrangères n’était pas non moins maladroite quand il avait opté pour la politique des axes, en s’aligant sur l’axe turco-qatari contre l’axe saoudo-émiratis.

C’est une lacune majeure pour un pays situé au centre de la Méditerranée, berceau des civilisations  et qui de tout temps était ouvert sur l’extérieur accueillant depuis l’antiquité plusieurs peuples dont il a su assimiler les divers apports. Ce perte de repère est d’autant plus grave, les espaces méditerranéen et européen ayant toujours occupé une place fondamentale dans les échanges humains, commerciaux et culturels de la Tunisie…

Aujourd’hui, il est urgent que la Commission nationale consultative pour la Nouvelle République  consulte les parties tunisiennes compétentes avant de mettre au point les grandes orientations de notre politique étrangère pour les années à venir compte tenu des principes et constantes de sa diplomatie depuis l’indépendance et élaborer les grands traits de sa feuille de route dans une approche pragmatique, loin des sentiers battus et des idéologies partisanes et en prenant en compte les changements majeurs qui sont en train d’impacter les relations internationales, tout en gardant à l’esprit que l’unique objectif qui détermine les décisions diplomatiques des nations ce sont leurs intérêts vitaux, car, on ne l’affirmera jamais assez, les États n’ont pas d’amis ni d’ennemis, mais des intérêts…

* Ancien ambassadeur.

Photo d’illustration : le président Kaïs Saïed recevant hier, mercredi 25 mai 2022, le doyen Sadok Belaid.

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