Kaïs Saïed espère pour la Tunisie un remake du scénario égyptien, lorsque les monarchies du Golfe ont «secouru» financièrement l’Egypte, après que celle-ci ait été mise au pilori par les puissances occidentales au lendemain du coup d’Etat du général Abdelfattah Sissi en 2013, sui mit fin à une courte parenthèse de pouvoir islamiste. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, car la situation des deux pays est différente…
Par Ridha Kefi
Le président Kaïs Saïed a appelé au téléphone, vendredi 17 juin 2022, le prince héritier koweïtien, le cheikh Mishal Al-Ahmad Al-Jaber Al-Sabah, pour lui souhaiter un prompt rétablissement après sa maladie. «L’appel a évoqué l’évolution des relations historiques entre la Tunisie et le Koweït et les moyens de les renforcer et d’ouvrir de nouveaux horizons à la coopération», indique la présidence de la république.
Cet appel est intervenu trois jours après la rencontre, le 14 juin, au Palais de Carthage, entre le président de la république et le ministre délégué auprès du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale des Emirats arabes unis, Shakhbout bin Nahyan Al-Nahyan. «La Tunisie peut compter sur les Émirats arabes unis pour identifier de nouvelles opportunités de coopération et d’investissement dans les domaines d’intérêt commun», avait promis ce dernier.
Le président Saïed, dont les décisions annoncées depuis le 25 juillet dernier, date de la proclamation des mesures exceptionnelles, sont systématiquement critiquées par les puissances occidentales partenaires historiques de la Tunisie, et qui commence à désespérer des bailleurs de fonds occidentaux, le Fonds monétaire international (FMI) en tête, cherche-t-il aujourd’hui à rallier à sa cause les pays du Golfe ? D’autant que ces derniers, qui ne sont pas de grands démocrates devant l’Eternel et qui ont nourri quelque inquiétude sur la pérennité de leurs trônes au lendemain des révolutions tunisienne et égyptienne, ont beaucoup manœuvré, depuis, pour transformer «printemps arabe» en «hiver islamiste».
Contenir la «menace» démocratique
Pour prouver tout l’intérêt qu’il accordent à la démocratie, ils n’ont-ils pas hésité un instant à «secourir» financièrement l’Egypte, lorsque celle-ci a été mise au pilori par les puissances occidentales après le coup d’Etat du général Abdelfattah Sissi en 2013, mettant fin à une courte parenthèse de pouvoir islamiste.
Souvenons-nous : en deux temps trois mouvements, l’Arabie saoudite, les Emirat arabes unis et le Koweït ont débloqué une aide financière de 12 milliards de dollars à l’Egypte pour lui permettre d’éviter un grand choc financier.
Est-ce le scénario qu’espère Kaïs Saïed pour la Tunisie ? On peut sérieusement le penser en attendant la confirmation de cette tendance au cours des prochaines semaines, sachant que les pays du Golfe, investisseurs de longue date en Tunisie, ont tous tourné le dos à notre pays après la chute de Ben Ali en 2011 et la montée au pouvoir du parti islamiste Ennahdha. Ils ont même abandonné tous leurs projets d’investissement annoncés avant 2011, en attendant d’y voir plus clair dans l’évolution de la situation politique et sécuritaire dans notre pays.
Rappelons à ce propos qu’au lendemain de la proclamation des mesures exceptionnelles, ayant éjecté Ennahdha et ses comparses du pouvoir, le 25 juillet 2021, le président de la république avait reçu, le 7 août, le conseiller diplomatique du président de l’Etat des Émirats arabes unis, Anouar Qarqache, qui était porteur d’un message de Cheikh Khalifa Ben Zayed Al Nahyane. M. Qarqache avait alors déclaré que son pays comprenait ce qui s’était passé douze jours auparavant en Tunisie et soutenait complètement les décisions «historiques» du président de la république tunisien «dans la mesure où elles sont destinées à préserver la sécurité et la stabilité de l’État tunisien et à répondre à la volonté de son peuple».
Quelques mois plus tard, le 10 mars 2022, le président du groupe émirati Salah Boukhater a fait le déplacement à Tunis pour annoncer, lors d’une conférence de presse, l’achèvement des travaux d’aménagement du lotissement «Sedar» faisant partie du projet de la Cité sportive qui sera bâtie aux Berges du Lac, dans la capitale tunisienne, projet qui était pratiquement à l’arrêt depuis… 2011.
A l’épreuve du tropisme israélien
Il reste cependant à savoir ce que les dirigeants des monarchies du Golfe pensent de Kaïs Saïed, de sa personnalité, de ses idées, et de sa fiabilité de chef d’Etat. S’ils ont de bonnes raisons d’apprécier sa piété et son conservatisme, certains aspects de sa personnalité ont de quoi les rebuter, notamment sa rigidité doctrinale et son impulsivité, sans parler de son populisme qui lui fait parfois «commettre» des déclarations hostiles à la normalisation avec Israël. Ce qui n’est pas de nature à combler d’aise les responsables de pays qui sont allés très loin dans l’établissement de relations avec l’Etat hébreu.
Certes, depuis sa campagne électorale, en 2019, au cours de laquelle il avait joué à fond la carte de l’antisionisme, M. Saïed a mis beaucoup d’eau dans son lait de chamelle, évitant tout retour à ce sujet, même lorsque des acteurs politiques ont critiqué l’arrivée de touristes israéliens dans l’île de Djerba pour le pèlerinage de la synagogue de la Ghriba, mais cela suffirait-il pour rassurer ses «frères» saoudiens, émiratis et koweïtiens ? Question subsidiaire mais tout aussi importante : Kaïs Saïed serait-il disposé à payer le prix, exorbitant aux yeux de ses partisans; de la normalisation avec Israël ?
Quoi qu’il en soit, le «secours» financier des pays du Golfe est tout le mal qu’on souhaite au locataire du palais de Carthage, qui n’a pas d’autres cartes à jouer, alors que la Tunisie fait face à la plus grave crise financière de son histoire depuis celle de 1986, laquelle avait été rapidement surmontée par l’ancien président Ben Ali.
Le défunt dictateur avait beaucoup de défauts, mais il était très apprécié par les pays du Golfe. Et c’est en Arabie saoudite qu’il trouva asile après sa fuite en 2011 et passa les dernières années de sa vie, avant d’y rendre le dernier souffle et d’y être enterré.
Les «frères», ça sert aussi à ça, surtout quand le vent tourne mal…
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