Pour avoir été roulés dans la farine par le président Kaïs Saïed, les professeurs Sadok Belaid et Amin Mahfoudh et les autres comparses, utilisés comme de simple faire-valoir dans le processus de rédaction du projet de nouvelle constitution, n’ont à s’en prendre qu’à eux-mêmes. Car le processus était vicié dès le départ et la volonté présidentielle de mettre tout le monde devant le fait accompli sautait aux yeux. Ils ont tout fait pour s’aveugler eux-mêmes.
Par Ridha Kefi
Emboîtant le pas à son collègue Amin Mahfoudh, qui a renié la paternité du projet de nouvelle constitution que Kaïs Saïed propose au vote lors du référendum du 25 juillet prochain, Sadok Belaid ne reconnaît pas lui non plus son bébé.
Comme il l’avait prévu, dans le cas où la mouture finale du texte sera très différente de celle présentée au président de la république par la commission qu’il avait présidée, le professeur de droit constitutionnel a fait publier la mouture initiale dans un journal de la place et les deux versions sont si dissemblables qu’on est en droit de penser que le chef de l’Etat avait juste besoin de la caution morale et académique des deux universitaires et qu’il avait, dès le début, sa propre constitution qu’il se promettait d’imposer aux Tunisiens et, surtout aux Tunisiennes.
Mettre tout le monde devant le fait accompli
Le mot imposer ici n’est pas fort, car M. Saïed a su cacher son jeu jusqu’à la dernière minute en prenant la précaution de ne rien laisser filtrer de ses intentions jusqu’à la publication du texte final de la nouvelle constitution sur le Journal officiel, le 30 juin, de manière à mettre tout le monde devant le fait accompli.
Il a ainsi organisé une mascarade de dialogue auquel il a fait participer quelques dizaines d’idiots utiles, qui étaient visiblement contents de servir à quelque chose, quitte à tenir un rôle de comparses. Et pas seulement, il a tenu à écarter de ce dialogue toute personne pouvant contrarier ses projets ne fut-ce qu’en exprimant des réserves ou des états d’âme. Il est allé jusqu’à se passer de la précieuse caution de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), en snobant son secrétaire général, l’inénarrable Noureddine Taboubi, le poussant vers des positions extrêmes voire extrémistes.
Il a, en outre, tenu à ce que la mouture initiale de la nouvelle constitution réalisée par la commission mise sur pied à cet effet, et dont les membres étaient triés sur le volet sur la base de leur allégeance publiquement exprimée à la personne du locataire du palais de Carthage (n’est-ce pas MM Belaid et Mahfoudh, pour ne citer que les deux plus gros dindons de la farce ?)… Il a donc insisté pour que cette mouture initiale ne soit connue que par ses deux principaux auteurs, de manière à ménager l’effet de surprise pour son… hold-up constitutionnel annoncé.
Un populisme teinté d’islamisme (momentanément) soft
Parallèlement, le vrai texte de la nouvelle constitution, celui qui sera publié par le Jort, était en préparation par une équipe secrète dans les alcôves du palais de Carthage, sous la supervision du président de la république, qui ne s’est pas privé d’y mettre son empreinte, que dis-je, ses logorrhées habituelles sur la souveraineté populaire, le peuple qui veut et la démocratie directe. On y entrevoit aussi l’empreinte de l’un des idéologues de son populisme teinté d’islamisme momentanément soft, celle de son frère cadet Naoufel Saïed, qui a dû contribuer pour une part à la rédaction du texte final où l’on retrouve certains des poncifs qui lui sont chers.
Preuve que M. Saïed n’entendait pas faire la moindre concession, même pas à ses plus proches soutiens, et qu’il tenait à faire passer «sa» constitution comme une lettre à la porte : il a mis en place tout le dispositif nécessaire pour le triomphe programmé du oui au référendum du 25 juillet :
– une date impossible, en pleine vacances d’été, pour démobiliser le plus grand nombre de Tunisiens, notamment parmi ceux qui sont hostiles à son projet politique;
– un délai particulièrement court pour la campagne référendaire, qui aura lieu en pleine démobilisation des médias audio-visuels, eux aussi en quasi-vacances;
– et la non-spécification des conditions minimales requises pour la régularité du vote et la crédibilité de ses résultats, et rien ne permet de penser qu’un décret présidentiel sera publié dans les prochains jours pour préciser ces conditions et encore moins les plomber pour prévenir les fraudes et les abus.
Avec Saïed, tout est presque écrit d’avance
Le problème avec Kaïs Saïed c’est qu’avec lui, tout est presque écrit d’avance. L’homme est têtu, obstiné, déterminé à imposer son projet de réforme politique, et y va train direct, sans même essayer de cacher son jeu.
Ses idées fixes, ses mots, ses postures et ses rigidités parlent beaucoup pour lui, et trahissent chez lui une propension à se croire infaillible. Il vous veut du bien et il vous l’imposera même par la force. Et ce genre d’homme, on sait ce qu’ils détruisent sur leur chemin.
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