Dans six mois auront lieu les élections législatives pour élire les représentants du peuple à l’Assemblée nationale et à l’Assemble des Régions et des Territoires. A moins d’une surprise de dernière minute, l’élection présidentielle est attendue dans deux ans. Avec la dernière version de la nouvelle Constitution, le président de la République a fait ses calculs sur la carte électorale: les électeurs islamistes lui seront d’un grand secours en 2024.
Par Helal Jelali *
Certes, le parti islamiste Ennahdha est affaibli et son encadrement national et régional est fissuré. Mais son électorat résiduel n’a pas disparu, et selon tous les sondages, il se situe autour de 15%.
Les partis politiques se disant «progressistes» ou «modernistes» sont très divisés. Et le Parti destourien libre (PDL) de Abir Moussi caracole dans les sondages autour de 35% d’intentions de vote pour les législatives.
Devant ce tableau électoral, Kaïs Saïed, en publiant dans le Journal Officiel le projet de «sa Constitution», a ciblé ouvertement l’électorat islamiste en lui offrant un texte fondamental qui parle du peuple tunisien comme d’une «partie de la oumma musulmane», et d’une «morale publique» qui délimiterait les libertés individuelles.
Une Constitution d’essence conservatrice
On le sait, la «morale publique» s’appuie plus sur les traditions et les archaïsmes sociaux que sur le droit. Ici s’affiche le conservatisme viscéral de l’auteur de ce projet de nouvelle Constitution, qui le rapproche objectivement des islamistes, d’autant que ces derniers voient en lui, davantage qu’en leur leader Rached Ghannouchi, la seule personnalité capable de faire barrage à leurs ennemis héréditaires, les Destouriens et Abir Moussi.
Le président tunisien – ancien professeur de droit constitutionnel – a choisi le chemin de la «fiction juridique» pour se trouver dans la fonction d’un guide temporel et non d’un leader politique au sens contemporain du terme. Un guide ne peut être ni contredit, ni responsable devant les institutions, et la Constitution concoctée par M. Saïed le reflète bien, en accordant tous les pouvoirs au président de la république qui n’est redevable de son action que… «devant le peuple».
Les juristes considèrent que la norme juridique est au-dessus de la norme morale et même du principe éthique. C’est pourquoi Kaïs Saïed cherche à appuyer sa dérive autoritaire sur une démarche référendaire et plébiscitaire, en ayant recours au soutien populaire. Mais il entre ainsi dans une zone grise du droit constitutionnel et dans une spirale de controverses sans fin sur la légitimité de sa démarche unilatérale et fermée à tout débat.
Kaïs Saïed se pose en sauveur des islamistes
Dans cette «fiction juridique», la consultation formelle des citoyens remplacerait, en partie, le pouvoir législatif, et peut-être même le référendum. Ainsi, il est devenu la seule source du droit et l’unique référence de la norme juridique. La trajectoire du guide temporel est toute balisée. Une situation qui s’inscrit dans le droit fil de l’imaginaire politique des islamistes, qui considèrent que le calife dispose d’un pouvoir quasi-divin.
La majorité des électeurs de Kaïs Saïed en 2019 étaient les islamistes d’Ennahdha, aujourd’hui déboussolés, peut-être retrouveront-ils, avec cette Constitution, une fois adoptée, celui qui garantira leur salut politique dans un contexte d’hostilité grandissante à leur égard.
* Ancien journaliste tunisien basé à Paris.
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