Tunisie – Salsabil Klibi : «Le président détient des pouvoirs très étendus dans les domaines exécutif, législatif et judiciaire»

Salsabil Klibi estime que la mouture du projet de constitution publiée le 8 juillet 2022 est une nouvelle version et pas seulement un texte ayant fait l’objet de corrections, comme le prétend le président de la république Kaïs Saïed. Car le décret présidentiel relatif à la convocation des électeurs pour le référendum du 25 juillet stipule que le texte du projet de constitution doit être publié au plus tard le 30 juin. Tout ce qui est publié après cette date est donc considéré comme un nouveau projet et n’a donc pas de justificatif ou de fondement dans ce décret.

La version du 8 juillet n’a rien à voir avec celle publiée le 30 juin qui aurait subi quelques corrections linguistiques ou orthographiques, car on en a aussi supprimé des éléments et ajouté d’autres, a estimé la professeure de droit constitutionnel, qui a ajouté, dans une déclaration à Mosaïque FM, aujourd’hui, mercredi 14 juillet, que la deuxième version n’est pas meilleure que la première, d’autant que ce qui est mentionné dans les dispositions générales, et plus particulièrement dans l’article cinq, est un appât qui a braqué toutes les attentions.

Cet article occulte à nos yeux tous les autres dangers que comporte le texte. La version du 8 juillet a certes ajouté la précision «dans le cadre d’un régime démocratique», or, il aurait mieux fallu parler d’«État démocratique» ou de «société démocratique», a encore expliqué Mme Klibi, ajoutant que «le régime démocratique est celui dont les institutions émanent des élections. Par conséquent, rien n’empêche le président de la république de s’engager pleinement dans un projet d’islamisation des institutions, de la loi et de la société, c’est-à-dire de leur mise dans un moule qui aurait les traits de l’islam.»

Mme Klibi a souligné qu’il aurait été préférable d’utiliser le terme «société démocratique», qui intériorise les valeurs liées au droit à la différence et au pluralisme.

La professeure de droit constitutionnel a également affirmé que, malgré la publication d’une deuxième version du projet de constitution, des problèmes persistent toujours dans la loi qui devra régir les affaires du pays : sera-t-elle une loi positive ou fondée sur la charia ?

Les principaux problèmes du projet de constitution tournent autour de la nature du système politique qui n’a pas changé entre la première et la seconde version. On a juste ajouté une phrase selon laquelle les membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) sont élus directement par le peuple. Mais cet ajout n’enlève en rien les éléments de fragilité à l’Assemblée, parce que le mandat accordé à ses membres est révocable à tout moment. Par ailleurs, une partie importante des prérogatives de l’ARP dépendent de l’approbation de l’Assemblée des régions et des territoires, tout comme celle du contrôle du gouvernement, car le processus de retrait de la confiance au gouvernement ne peut être déclenché qu’à la demande des deux chambres parlementaires et avec l’approbation d’une majorité des deux tiers de leurs membres, ce qui est impossible à obtenir, comme cela a déjà été montré avec l’expérience de l’ARP lors de l’élection des organes constitutionnels indépendants, où on n’a pas réussi à obtenir le quorum.

Mme Klibi estime également que le projet de constitution du 8 juillet ne touche en rien la position centrale occupée par le président de la république, qui monopolise des pouvoirs très étendus dans les domaines exécutif, législatif et judiciaire, étant donné que c’est lui qui nomme les membres du Conseil supérieur de la magistrature, et qu’il n’a, en face de lui, aucun mécanisme de responsabilisation.

I. B.

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