On n’a jamais assisté dans l’histoire des relations tuniso-américaines à un nombre aussi important de visites de hauts responsables américains en Tunisie que depuis la dérive anti-démocratique ayant suivi la proclamation des dispositions exceptionnelles le 25 juillet 2021 par le président de la république Kaïs Saïed. Il y a comme un malaise voire même un malentendu que l’on tente vainement de dissiper. Décryptage…
Par Imed Bahri
Le fait que toutes ces visites ont porté sur deux thèmes spécifiques et presque exclusifs, le processus démocratique et les droits et les libertés, est en soi très significatif d’un sentiment partagé à Washington, qu’il soit justifié ou pas, que le processus démocratique tunisien, seule survivance du printemps arabe de 2011, est peut-être menacé.
La dernière visite en date est celle effectuée du 14 au 16 octobre 2022 à Tunis par le sous-secrétaire adjoint à la démocratie, aux droits de l’homme et au travail Christopher Le Mon. Ce dernier, et la délégation qu’il conduisait, ont rencontré, vendredi 14 octobre, le ministre de l’Intérieur Taoufik Charfeddine, au siège du ministère.
Selon le communiqué officiel tunisien, les relations de coopération entre la Tunisie et les Etats-Unis et les moyens de les renforcer, notamment au niveau des ministères de l’Intérieur, ont été évoquées.
Cap sur la lutte contre la corruption
La réunion, qui s’est déroulée en présence de la chargée d’affaires de l’ambassade des Etats-Unis à Tunis, Natasha Franceschi, ainsi que de l’administratrice adjointe de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID) pour le Moyen-Orient, Megan Doherty, «a été l’occasion de souligner l’engagement du ministère à lutter contre la corruption, à faire respecter l’État de droit et à s’engager dans la lutte mondiale contre le terrorisme», a déclaré le département de l’Intérieur dans un communiqué rendu public lundi 17 octobre, soit trois jours après la rencontre.
On relèvera cependant une nouveauté dans cette déclaration : la lutte contre la corruption est désormais placée en tête des préoccupations officielles tunisiennes, devant la lutte contre le terrorisme, qui fût toujours, depuis 2001, en tête des axes de coopération entre Tunis et Washington, et qui se trouve aujourd’hui rétrogradée à la troisième place.
Pour sa part, l’ambassade des Etats-Unis a rapporté que le sous-secrétaire adjoint à la démocratie, aux droits de l’homme et au travail a rencontré «des représentants de la dynamique société civile tunisienne qui plaident pour un processus politique démocratique inclusif protégeant les libertés fondamentales, y compris le droit à la liberté d’expression et de rassemblement pacifique», tout en soulignant l’engagement continu des États-Unis à soutenir le peuple tunisien pendant cette période critique.
Un gouvernement démocratique transparent et réactif
L’ambassade a ajouté que M. Le Mon a également rencontré des responsables du ministère des Affaires étrangères, du ministère de l’Intérieur et de la Haute autorité indépendante pour les élections (Isie) «pour souligner l’importance d’un gouvernement démocratique transparent et réactif, alors que les Tunisiens se préparent pour les prochaines élections législatives dans un contexte de défis économiques croissants.»
Nous n’insisterons pas ici sur la teneur de certaines expressions devenues fréquentes dans les déclarations des hauts responsables américains à propos de la transition politique en Tunisie, et que les lecteurs ont sans doute déjà relevées. Ces expressions ont déjà été employées dans les récentes déclarations de la Maison Blanche, du Département d’Etat et du Pentagone, et qui insistent sur la nécessité du retour de la Tunisie à la voie d’une démocratie inclusive, provoquant au passage des réactions courroucées de la part des hauts responsables tunisiens, à commencer par le président Saïed.
Si on ajoute à tout cela le fait que le nouvel ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie, Joe Hood, dont la candidature a été avalisée par le Congrès depuis plusieurs semaines, tarde encore à rejoindre son poste à Tunis, on peut estimer qu’il y a de sérieuses fritures sur la ligne entre Washington et Tunis.
On fera remarquer aussi, au passage, qu’au regard des déclarations des responsables des deux pays, ces frictions semblent beaucoup plus déranger les Américains que les Tunisiens, les premiers semblant tenir davantage que les seconds au maintien d’excellentes relations avec un partenaire historique au sud de la Méditerranée. C’est tout de même surprenant…
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