«Le Maroc envisage de construire des centrales nucléaires pour améliorer son mix énergétique à faible émission de carbone et accélérer sa transition vers une économie verte…»
Par Mohsen Redissi *
C’est en ces termes que la ministre de l’Energie, des Mines et des Energies renouvelables a justifié les mesures récemment prises par le Maroc de se doter de centrales nucléaires pour enrichir l’uranium à des fins pacifiques.
On est certes encore au premier stade du projet, mais on imagine la polémique qu’une telle annonce pourrait provoquer, notamment dans les pays voisins, qui peuvent déjà se sentir à la merci de quelque nuage radioactif émanant d’une centrale nucléaire, indépendamment de l’endroit où elle se trouvera, même cachée sous terre à l’abri du regard des curieux.
Tous les pays sans exception ne disent pas toute la vérité quand il s’agit de leur programme nucléaire ou de celui des autres. Ils jouent à l’innocent pour faire croire que leur programme est strictement à usage civil; mais fabriquent un scénario catastrophique quant il s’agit d’un pays voisin ou d’un Etat qu’ils redoutent.
Les voisins du Maroc, l’Algérie en tête, ne vont pas tarder à faire part de leurs inquiétudes à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Ils pourront aussi être tentés de se doter eux aussi de l’énergie nucléaire.
Pour le Maroc, le recours au nucléaire civil se justifie amplement par son fort déficit énergétique et par la hausse des prix des énergies fossiles. Mais ses voisons l’entendront-ils de cette oreille ?
Si le projet aboutit, le Maroc pourrait devenir le second pays arabe détenteur du nucléaire, après les Emirats arabes unis, qui possèdent la première centrale nucléaire arabe reconnue officiellement, mise en marche en 2020 sans grande pompe. Discrétion oblige.
Une histoire de fission
Le club sélect des détenteurs d’une ou plusieurs centrales nucléaires compte 32 pays, d’après le dernier chiffre fourni par les Nations unies.
Ce noyau restreint de 32 pays exploite 443 réacteurs nucléaires pour produire de l’électricité, parmi eux 13 en sont dépendants à hauteur du quart de leur mix énergétique, pour d’autres elle représente la moitié de leur consommation en électricité. Mais certains autres se seraient bien passés du nucléaire sans grande incidence sur la satisfaction de leurs besoins énergétiques.
Le Maroc n’est pas à sa première tentative. L’idée de doter le royaume d’une centrifugeuse a germé dans l’esprit de feu Hassan II depuis les années 80. La soif qui frappe assez souvent, et qui frappe encore, les hommes, les bêtes et les plantes dans les pays de l’Afrique du Nord, a poussé le royaume chérifien à penser au nucléaire pour dessaler l’eau de mer à moindre frais. Et c’est à la Russie qu’il s’est adressé à l’époque pour avoir la technologie nécessaire pour cela.
Cependant, l’incident de Tchernobyl en 1988 a renvoyé aux calendes grecques les projets du Maroc et faire perdre à la Russie sa crédibilité en matière de sécurité dans un domaine où la moindre erreur est fatale.
En 1998, la Chine a finalisé avec le Maroc, avec la bénédiction de l’AIEA, le projet d’une unité de dessalement au nucléaire à Tan Tan. Mais l’accident nucléaire de Fukushima, survenu à la suite d’un tsunami en 2011, a détruit à nouveau le rêve marocain de voir sa centrale nucléaire sortir du sable.
Israël à la rescousse
Aujourd’hui, la donne a changé. La crise mondiale de l’énergie semble avoir redoré l’image du nucléaire civil. Le partenaire historique des pays de l’Afrique du Nord, la France en l’occurrence, hésite encore à proposer sa technologie nucléaire au Maroc. Elle temporise, non pas par manque de conviction, mais pour ménager ses relations avec une Algérie qui fournit le gaz à une Europe exposée à la perspective d’un second hiver sans pétrole et gaz russes.
Fatigué d’attendre, Mohamed VI se tourne vers Israël, son nouveau partenaire stratégique, pour bénéficier de son expérience en matière du nucléaire. N’a-t-il pas annexé le Sahara Occidental avec la bénédiction des Etats-Unis en échange de la signature des Accords d’Abraham en 2020? Le moment est donc venu de fêter en apothéose cette amitié retrouvée par un partenariat qui donne plus de crédibilité à ces Accords.
Le Maroc sait pertinemment qu’Israël est un électron libre au Moyen-Orient. Et lorsqu’il s’agit d’Israël, l’Occident prend trois postures: il ne voit pas, n’entend pas et ne parle pas. Un blanc seeing dont le royaume chérifien compte tirer profit pendant, au moment où l’Europe a le dos tourné, préoccupée par une guerre ravageuse à sa frontière orientale qui menace son existence même.
Le nucléaire marocain sera-t-il donc israélien? Plus que l’expertise, le capital de sympathie dont jouit l’Etat hébreu auprès de la communauté internationale va dissiper toute hésitation concernant l’avenir de cette entreprise, celle de voir le Maroc se doter d’un réacteur nucléaire.
L’accord tacite passé entre Israël et les superpuissances occidentales, gardiennes autoproclamées de l’équilibre stratégique international, selon lequel Israël doit rester la seule puissance nucléaire au Moyen-Orient, va-t-il enfin être rompu par Israël lui-même? Wait and see…
La société civile marocaine s’inquiète
En attendant d’y voir plus clair dans les intentions des uns et des autres, les environnementalistes et la société civile au Maroc n’ont pas attendu longtemps pour signifier qu’ils sont foncièrement contre l’exploitation de l’énergie nucléaire dans leur pays. Leur crainte vient des différents accidents qui ont jalonné l’histoire du nucléaire dans le monde dus à des erreurs humaines ou souvent à des facteurs naturels. Ces activistes pensent que le Maroc doit s’orienter davantage vers les sources énergétiques plus propres, lui qui exporte déjà vers l’Europe son surplus de production d’énergie solaire. Leur crainte vient aussi de l’inquiétude omniprésente chez les spécialistes de l’environnement quant à la gestion des résidus nucléaires et leur dangerosité dans un pays qui souffre déjà des répercussions négatives du changement climatique.
* Haut fonctionnaire à la retraite.
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