Au moment où l’opposition au président Saïed tente de recoller les morceaux et de constituer, autour des organisations nationales, une dynamique politique de sortie de crise et de sauvegarde de la nation, Abir Moussi et les Destouriens continuent de faire cavaliers seuls. Et de s’inventer de nouveaux adversaires. Est-ce vraiment la bonne stratégie ?
Par Imed Bahri
Cette stratégie se fonde sur la conviction que le Parti destourien libre (PDL) est la formation la plus populaire actuellement en Tunisie et la plus à même d’offrir aux Tunisiens une alternative au pouvoir personnel, autoritaire et solitaire du président de la république Kaïs Saïed. Lequel vient de subir un camouflet populaire avec le taux d’abstention de 90% enregistré aux législatives du 17 décembre. Mais les détracteurs du PDL et de Mme Moussi pensent que ce cavalier seul des Destouriens risque d’aggraver leur solitude sur la scène politique nationale et de faire durer la division de l’opposition, au grand bonheur de M. Saïed.
Moussi occupe le terrain
Quoi qu’il en soit, Mme Moussi, qui croit à sa bonne étoile, ne semble pas se poser ce genre de question ni prêter la moindre attention aux autres parties-prenantes de la scène nationale. Elle fait comme si celles-ci n’existaient pas, réserve ses attaques aux islamistes d’Ennahdha et à leur alter ego, Kaïs Saïed. Croyant voir se dessiner devant elle une autoroute, elle s’y engouffre, en essayant d’occuper le terrain par son bruit et sa fureur, avec un relatif succès jusque-là.
C’est ainsi que, dans une déclaration aux médias, samedi 24 décembre 2023, lors d’un rassemblement devant le Bureau des Nations Unies au quartier des Berges du Lac à Tunis, la présidente du PDL a adressé un avertissement à «tous les pays du monde» (sic !) contre la reconnaissance de toute institution tunisienne émanant du processus illégal issu des élections législatives du 17 décembre.
Mme Moussi, qui continue de faire feu de tout bois et de lâcher la proie pour l’ombre, a envoyé un message aux États-Unis d’Amérique, à la France et au Qatar, qu’elle accuse d’interférer dans les affaires tunisiennes, les deux pays occidentaux en apportant leur soutien (ou en ne condamnant pas assez clairement) le processus politique mené par le président Kaïs Saïed, et le pays du Golfe, en continuant à soutenir le parti islamiste Ennahdha.
Mme Moussi considère que son parti va bientôt enterrer définitivement le processus du «printemps de la destruction et de la ruine», en référence au «Printemps arabe», et que «la Tunisie ne sera pas un dépotoir pour les Frères musulmans», ajoutant qu’on ne peut construire la démocratie avec ces «déchets criminels» (les «khouanjia»), qu’elle accuse aussi l’administration démocrate, aujourd’hui au pouvoir à Washington, de soutenir depuis 2011.
Seule contre tous
«Celui qui reconnaîtra le parlement issu du premier et du second tour des élections législatives et le crime électoral en cours s’attaque, en réalité, au peuple tunisien», a averti Mme Moussi, en soulignant que la position de son parti s’inscrit dans le souci de préserver la souveraineté nationale.
La présidente du PDL a également appelé l’organisation onusienne et tous les pays du monde «à rester neutres et à ne pas s’immiscer dans les affaires intérieures de la Tunisie ou à soutenir la dictature contre la volonté du peuple tunisien ou encore à reconnaître ce que le peuple rejette.»
On peut être partiellement d’accord avec Mme Moussi et trouver quelque peu tiède la réaction de Washington et de Paris à la dérive autocratique de Kaïs Saïed, mais il serait tout de même exagéré de penser, comme elle semble en être persuadée, que les Etats-Unis et la France soutiennent la dictature en Tunisie. Aussi, cette façon que la présidente du PDL a de s’attaquer à tout le monde et de s’inventer des adversaires imaginaires et tout à fait inutiles risquerait-elle d’être contreproductive.
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