Kaïs Saïed continue de dérailler et de lancer des petites phrases assassines qui font grincer des dents et pas seulement en Tunisie. Jusqu’à quand, nous autres citoyens qui l’ont élu, allons-nous continuer à assister à ce genre de spectacles pathétiques, et à en subir les conséquences sur nos vies de tous les jours sous formes de déficits financiers et de pénuries de toutes sortes?
Par Ridha Kefi
Evoquant lors du «conseil de guerre» réuni, hier soir, mercredi 27 décembre 2022, au Palais de Carthage, entre autres sujets de l’heure, les résultats du premier tour des élections législatives du 17 décembre, le président de la république a fait des déclarations pour le moins surprenantes.
Saïed, qui parlait devant un public de choix composé de la Première ministre Najla Bouden, des ministres de la Justice Leila Jaffel, de la Défense nationale, Imed Memmich, de l’Intérieur, Taoufik Charfeddine, et des chefs l’armée et de la police, n’a visiblement pas encore digéré le camouflet infligé par les électeurs qui ont été près de 90% à boycotter des élections qu’il avait voulues en dehors de tout débat national digne de ce nom et dont il avait imposé lui-même les règles. «Bien que le scrutin ait été entaché de certains abus, la participation de 9 ou 12% des électeurs vaut mieux que la participation de 99%, comme c’était le cas par le passé», a-t-il notamment dit, tout en se félicitant que ces élections se soient déroulées dans le respect de la loi. La bonne affaire !
Noyer le poisson de l’échec
Cette déclaration traduit chez lui un refus de regarder la réalité en face et de tirer la leçon de ce qui est considéré à juste titre comme son échec personnel, d’autant que ses opposants avaient tous appelé au boycott du scrutin et que leur voix a finalement été entendue, ne fut-ce que par une partie des électeurs, à supposer que d’autres ont fait ce choix d’eux-mêmes.
En disant ce qu’il a dit, Saïed persiste dans le déni et essaie de noyer le poisson de l’échec, réel, dans l’illusion d’un improbable succès : les élections se sont déroulées dans le respect de la loi. Outre le fait qu’il n’y a aucune fierté à en tirer, cela est pour le moins inexact, puisque l’écrasante majorité des organisations spécialisées dans l’observation des élections et la défense des droits de l’homme ont dénoncé les nombreux dépassements commis par l’Instance supérieure indépendante pour les élections (Isie), dont tous les membres ont été désignés par lui et ont travaillé sous son autorité directe, même si au final, nous devons à la vérité de reconnaître qu’ils n’ont pas cherché à faire du bourrage des urnes. S’ils l’ont voulu, y seraient-ils parvenus ?
Sur un autre plan, Kaïs Saïed a affirmé, selon une étrange arithmétique dont il a seul le secret (on sait qu’il ne sait pas calculer, mais tout de même !), que les 9% ayant voté le 17 décembre valent mieux que 99% de ceux qui ont voté lors des précédentes élections, laissant entendre, comme l’avait déjà déclaré Farouk Bousaker, le président de «sa» commission électorale, que ces derniers étaient tous soudoyés par l’argent. Ce qui laisse entendre aussi que 99% des 72% qui ont voté pour Saïed au second tour de la présidentielle de 2019 ont également tous été «achetés».
Le populiste qui insulte le peuple
Est-ce cela que le président a voulu dire en disant l’ineptie qu’il a dite ? Si c’est le cas, pourquoi n’organiserait-il pas, pour restaurer sa légitimité écornée, une présidentielle anticipée, comme l’y invitent du reste la plupart des partis, même parmi ceux qui le soutiennent ?
Ce qui choque dans le comportement du président c’est qu’en étant emporté par la colère et ne contrôlant visiblement plus ses nerfs ni ses mots, il se laisse souvent aller à des déclarations qui dénotent, chez lui, un mépris total pour le peuple dont, en bon populiste, il ne cesse de se réclamer à cor et à cri
Il y a quelque chose de pathétique chez Saïed : plus la pression de l’opposition augmente, plus il perd ses moyens intellectuels, et se met à commettre des écarts de langage, comme une machine déglinguée qui emporte tout sur son chemin.
Cette manière de s’enflammer au quart de tour peut-être à la limite comprise chez un jeune époux qui n’est pas encore habitué aux contraintes de la vie de couple, mais elle a de quoi inquiéter chez un chef d’Etat.
Hier soir, par exemple, Kaïs Saïed a eu une petite phrase assassine à l’endroit du Fonds monétaire international (FMI), alors qu’il sait que notre pays le sollicite pour un accord de prêt de 1,9 milliard de dollars. N’a-t-il pas en effet affirmé, sur un ton colérique, que la souveraineté de la Tunisie est plus importante à ses yeux qu’un rendez-vous avec une quelconque institution internationale quelle qu’elle soit, faisant ainsi allusion à l’annulation de la réunion du conseil d’administration du FMI consacrée au dossier de la Tunisie et qui était prévu le 19 décembre ?
Est-ce que le président dispose d’un plan B pour boucler le budget de l’Etat pour l’exercice en cours et pour celui à venir ? Ce qui, à la limite, aurait justifié cette petite phrase que n’aurait reniée aucun souverainiste ombrageux. Et dans ce cas, pourquoi ses ministres ne cessent-ils pas d’affirmer que la Tunisie ne peut nullement se passer du coup de pouce du FMI pour espérer débloquer les autres emprunts dont elle a besoin auprès des bailleurs de fonds bilatéraux ?
Les mots de trop
En revanche, si Saïed ne dispose pas de plan B, et c’est ce que nous pensons, pourquoi continue-t-il de lâcher ainsi des petites phrases qui risquent de compliquer la tâche de ses ministres et de priver son pays des fonds dont il ne peut se passer ? Ne lui a-t-on pas expliqué qu’en qualifiant les agences de notation d’«oummok sannafa» (cuisinières), il avait fait grincer quelques dents dans les milieux financiers internationaux et affecté son image ainsi que celle de son pays ?
Jusqu’à quand allons-nous, dans ce pays, continuer à assister à ce genre de spectacles pathétiques, et à en subir les conséquences sur nos vies de tous les jours sous formes de déficits financiers et de pénuries de toutes sortes?
Il va falloir qu’un jour, M. Saïed comprenne enfin qu’un chef d’Etat n’est pas un commentateur de l’actualité qui peut laisser libre cours à sa pensée et cavaler à brides abattues, et qu’il doit veiller à parler moins, à parler mieux et, surtout, à bien ciseler ses mots pour ne pas courir le risque d’offusquer les autres, quels qu’ils soient. Ne doit-on pas respect pour ses adversaires, et même pour ses ennemis ?
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