Kaïs Saïed ne cesse d’affirmer son désir de sauvegarder jusqu’à l’obsession l’identité arabo-musulmane de la Tunisie ce qui l’a amené, récemment, à considérer la migration depuis les pays subsahariens vers son pays comme un complot démographique.
Par Noura Bensaad *
C’est l’histoire d’une femme, elle existe réellement, qui a exprimé son identité féministe en expliquant que son engagement l’avait entre-autre amenée à rejeter tout ce qui vient d’un homme, pas seulement la relation amoureuse, comme on peut s’y attendre, mais aussi ce qu’il est susceptible de créer ou de réaliser, par exemple un livre ou un film, qu’elle se refuse ainsi de lire ou de regarder.
Avec beaucoup de pertinence et d’ironie, un dessinateur caricaturiste a croqué le portrait de cette personne en la représentant dans le cabinet d’un psychanalyste, ce lieu de l’intime le plus secret où l’on parle de ses complexes, de ses obsessions, de ses blessure narcissiques. Allongée sur un divan derrière lequel se trouve assis le psychanalyste, carnet en main, elle dit la cause de son tourment irrésolu: «Mon père est un homme.»
L’obsession l’identité
Avec ce même esprit de dérision, on pourrait se figurer cette scène mais avec Kaïs Saïed et qui dirait, allongé sur son divan de psychanalyste : «Mon pays est africain.»
Dans les deux cas, la personne psychanalysée se révèle être dans l’incapacité la plus totale d’accepter la réalité telle qu’elle est parce que son désir le plus profond est que cette réalité soit autre.
Or le désir de Kaïs Saïed, on l’aura compris, est celui d’affirmer, de revendiquer et aussi de sauvegarder jusqu’à l’obsession l’identité arabo-musulmane de son pays ce qui l’a amené, récemment, à considérer la migration depuis les pays subsahariens vers la Tunisie comme «un projet dont les visées sont occultes et destinées à cantonner la Tunisie dans sa seule dimension africaine (mais) qui n’a d’identification ou affinité qu’avec la nation arabo-musulmane.» Occultant ainsi, avec une facilité ahurissante, tout ce que la Tunisie a été avant et même après l’expansion arabo-musulmane vers les pays d’Afrique du nord.
La phobie de l’Autre
Les propos du président de la république révèlent malheureusement cette phobie de l’Autre en tant que destructeur potentiel d’une identité telle qu’elle est exprimée par la théorie du Grand remplacement, théorie qui fait les délices de l’extrême-droite dans certaines contrées européennes. Laquelle avance elle aussi comme preuve d’une volonté de perversion de l’identité d’une population, celle de pratiques criminelles opérées par une communauté «importée». Dans son allocution, l’amalgame était troublant, Kaïs Saïed a en effet déploré que «la poursuite de l’afflux des migrants irréguliers vers la Tunisie a véhiculé une montée en puissance de la violence, de la criminalité et autres pratiques répréhensibles par la loi.»
Confronté à une vague d’indignation, le président a ensuite tenté d’expliciter ou de nuancer ses propos en précisant qu’il tenait à rassurer les ressortissants subsahariens en situation régulière et que la Tunisie, anciennement appelée Ifriqiya, ne peut, par définition, exercer de la discrimination. Malheureusement, ces précisions n’ôtent pas grand chose à son accusation sur le projet d’on ne sait qui au juste – on remarquera au passage que dans sa lutte contre les forces du mal, il fait souvent référence à des parties mal intentionnées sans jamais nous éclairer sur qui sont ces parties exactement –, de détruire notre identité arabo-musulmane.
Un goût de la fête et de la vie
À propos de cette identité sur laquelle le président se propose de veiller farouchement comme si elle était en perpétuel danger, on peut se demander si lui, qui paraît si proche de son peuple au point de comprendre mieux que personne ce qu’il veut (el chaâb yourid), si lui, donc, sait que beaucoup de Tunisiens fêtent à leur manière Noël, ce qui ne les rend pas moins musulmans, car dans la célébration de cet événement religieux qui plait tant aux enfants, il y a seulement et uniquement l’expression d’un goût de la fête et de la vie. Ce qui est la marque la plus évidente d’une identité faisant fi de tous les extrêmes.
NB : cette tribune libre aurait pu paraître plus tôt. Quoi qu’il en soit, il est important que Nous, Tunisiens, nous nous exprimions. Aussi pour rappeler que personne ne peut incarner exclusivement la voix du peuple.
* Écrivaine.
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