On lit tellement de critiques à propos des productions télévisuelles tunisiennes du mois de Ramadan qu’on est tenté de participer au débat. Ces propos concernent surtout le feuilleton le plus controversé, ‘‘Fallouja’’, diffusé sur la chaîne El-Hiwar Ettounsi et qui plonge les téléspectateurs sans filet dans l’univers de l’éducation nationale. Beaucoup d’ombres et peu de lumières, comme dans la vie réelle.
Par Pr. Mondher Azzouzi *
N’ayant nullement l’intention de m’ériger en censeur moralisateur ni de défendre des libertés sans limite qui reviennent à prendre le public en otage à travers le petit écran, on constate néanmoins que cette œuvre dramatique, a pour titre le nom d’un village du Moyen-Orient saccagé par la guerre et livré au chaos pour que l’allusion soit forcément lourde de signification. Aussi le débat qu’elle a suscité mêle-t-il le droit d’expression libre que revendique l’art en général, aux préjugés moraux d’une société qui balance entre modernisme contraint et repli conservateur inspiré par la religion.
Conflit de générations
Sur le plan artistique, le travail de la réalisatrice Saoussen Jemni et de son équipe est de bonne facture. La prestation des acteurs est excellente. Les dialogues sont pertinents et donnent à réfléchir sur l’état de la société et les profondes mutations qui la traversent. Pour preuve, l’échange poignant entre une jeune professeure et son aînée devenue directrice au bout de trente ans d’exercice. Dialogue qui traduit un conflit de générations entre une jeune femme volontaire qui veut agir pour venir en aide à des adolescents en difficulté et son aînée désabusée qui lui enjoint de faire avec l’existant.
La première défend crânement le rôle constructif de l’école qui ne doit pas se contenter de dispenser le savoir mais a vocation aussi de compléter le rôle éducatif des parents, forcément insuffisant et lacunaire. Alors que la seconde, riche de son expérience, se montre plutôt fataliste et refuse de se substituer aux parents. Sauf que le sort des élèves ne concerne pas seulement les parents, mais implique aussi la société dans son ensemble et engage son avenir.
Pour présenter cette problématique qui divise la société dans une fiction bien ficelée avec des personnages et des situations criant de vérité, le scénario et la réalisation réussissent à captiver notre attention et il faut être de mauvaise foi pour renier à cette œuvre dramatique ses indéniables qualités artistiques, et pour soumettre sa lecture à une approche religieuse ou simplement moralisatrice.
Se regarder en face
Sans être mécréant, on ne peut soumettre exclusivement son être, son âme et son existence à l’adoration de Dieu ou à la pratique de la religion. Ce serait réducteur pour le créateur qui nous a donné la vie pour que l’on puisse accomplir des choses positives : apprendre, s’améliorer, entreprendre, être en phase avec l’évolution du monde et se rendre utile à la société. L’école est le lieu même de cet apprentissage civique et du savoir, autant que du savoir-être tout court.
C’est pour cette raison que le débat suscité par ce feuilleton doit être constructif pour aider la société d’aujourd’hui à se regarder en face et pour identifier ses carences afin d’essayer de les corriger au lieu de se cacher la tête dans le sable pour éviter d’affronter la réalité. Or une œuvre dramatique sert d’abord à cela : dévoiler, dénoncer et exposer la réalité en plein jour. Ce que la moralité publique, pudibonde, cherche à masquer.
* Cardiologue à Lyon.
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