La célébration du 25-Juillet a traduit le grand malaise que vit la scène politique tunisienne depuis 2019, avec un pouvoir qui glisse irréversiblement vers une forme d’autoritarisme, de dictature ou de pouvoir personnel, selon les différentes définitions des analystes, avec, en face, une opposition divisée, éclatée et incapable de donner le change.
Par Imed Bahri
Hier, mardi 25 juillet 2023, il n’y a pas eu de célébration officielle du 66e anniversaire de la proclamation de la république, comme cela se faisait systématiquement avant l’accession de Kaïs Saïed à la présidence de la république. Est-ce à dire que ce dernier cherche à minimiser l’importance de cet événement historique ou qu’il soit en train de réécrire l’histoire de la Tunisie pour effacer l’œuvre de ses prédécesseurs et y imprimer ce qu’il croit être la sienne ?
Quoi qu’il en soit, beaucoup de Tunisiens ont craint que le chef de l’Etat, pour asseoir sa légitimité historique, ne soit amené à remplacer la célébration de l’anniversaire de la proclamation de la république, le 25 juillet 1957, par la célébration de l’anniversaire de la proclamation de l’état d’exception, le 25 juillet 2021, qui lui permit de prendre en main tous les leviers du pouvoir et d’instaurer son pouvoir personnel.
Guéguerre d’images
Cette crainte était d’autant plus justifiée qu’il y a eu des antécédents : Ben Ali n’a-t-il pas imposé la célébration annuelle de la date de sa prise du pouvoir, le 7 novembre 1987 ? Mais cette crainte était néanmoins exagérée. Et pour cause : Kaïs Saïed n’a certes pas cru devoir célébrer en grande pompe l’anniversaire de la république, comme le faisaient tous ses prédécesseurs, mais il n’a pas (ou pas encore) imposé la célébration de la date de sa prise de pouvoir.
Cependant, et pour marquer cet événement, il n’a pas résisté au plaisir de se payer un bain de foule, au centre-ville de Tunis, qui plus est, sur les lieux même où, quelques heures auparavant, des formations de l’opposition avaient organisé des sit-in de protestation pour dénoncer son pouvoir personnel et appeler à libérer les détenus politiques poursuivis pour complot contre la sûreté de l’État.
S’adressant à ses partisans devant le théâtre municipal de Tunis, sous un soleil de plomb, par une température de 45 degrés, le président du Front de salut national, Ahmed Nejib Chebbi, qui était accompagné de diverses personnalités du FSN , dont Samir Dilou, Imed Khemiri, Ajmi Lourimi et Riadh Chaibi, a dénoncé «la faillite et l’échec total» du gouvernement Saïed, qui, selon lui, a empêché tout accord entre la Tunisie et le Fonds monétaire international (FMI) pour un prêt de 1,9 milliard de dollars dont le pays a vivement besoin pour redresser ses finances publiques.
Les manifestants ont scandé des slogans hostiles contre le pouvoir en place et le président, dénonçant le mémorandum d’entente sur la migration récemment signé entre la Tunisie et l’Union européenne. Parmi les slogans scandés, «A bas le putsch», «Liberté pour tous les opposants», «Vous les affamés ! Sachez que vous avez été vendu aux Italiens».
Le front démocratique, constitué de plusieurs partis de centre-gauche (Courant démocrate, Parti républicain, Pôle démocratique et progressiste, Parti des travailleurs) a également organisé une marche à Tunis, à laquelle ont participé des dizaines de sympathisants. Les manifestants brandissaient des banderoles sur lesquelles on pouvait lire «Liberté… Liberté… l’Etat policier est fini» et «Liberté pour l’opposition tunisienne».
Grand malaise
De son côté, Abir Moussi, présidente du Parti destourien libre, a, lors d’un rassemblement à Tunis (ٍVidéo), accusé le président Kaïs Saïed de «changer le système politique vers le pire». Devant quelque 300 partisans de son parti, Moussi a appelé à la fin des mesures exceptionnelles et à l’organisation d’une élection présidentielle «honnête» et «transparente», en réitérant ses réserves sur la commission électorale dont les membres ont tous été désignés par le chef de l’Etat. Et en annonçant qu’elle sera la candidate de son parti aux prochaines élections présidentielles, dont les dates n’ont pas encore été annoncées.
La crise politique déclenchée par la prise du pouvoir par Saïed, initialement soutenu par de nombreux Tunisiens, inquiète les ONG tunisiennes et internationales, qui déplorent une régression des libertés dans le pays.
Au final, la célébration du 25-Juillet a traduit le grand malaise que vit la scène politique tunisienne depuis 2019, avec un pouvoir qui glisse irréversiblement vers une forme d’autoritarisme, de dictature ou de pouvoir personnel, selon les définitions des analystes, avec, en face, une opposition divisée, éclatée et incapable de donner le change, victime de l’égocentrisme de ses dirigeants et de leurs vaines querelles de leadership, ouvrant ainsi, à l’insu de leur propre gré, un véritable boulevard devant un président qui, malgré son bilan catastrophique dans tous les domaines, demeure la personnalité politique la plus populaire et qui inspire le plus confiance aux citoyens.
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