«Votre projet d’installation en France revêt un caractère frauduleux» ou encore «Vous n’avez pas présenté d’éléments permettant de vous assurer que votre séjour en France à des fins d’études ne présente pas un caractère abusif» : ce sont les motifs énigmatiques qui apparaissent souvent dans les notifications de refus de délivrance de visas pour la France, un message laconique exigeant une preuve des «bonnes intentions» des demandeurs de visa. Incompréhensible et insupportable pour les personnes ainsi déboutées. (Illustration : ambassade de France à Tunis).
Par Hssan Briki
Dans ce contexte, plusieurs Tunisiens mariés à des Françaises ont manifesté, mardi 15 août 2023, devant l’ambassade de France dans le centre-ville de Tunis, en compagnie de leurs épouses, pour contester les refus de «visas conjoints français». On parle de près de 1200 refus opposés au cours des trois dernières années.
Les manifestants brandissent des pancartes réclamant leur droit d’entrée sur le sol français, dénonçant les prétextes fallacieux avancés par les autorités françaises pour justifier le rejet de leurs demandes de visa. Parmi ces prétextes, on trouve les termes «tentative de fraude» ou «mariage blanc», alors que les demandeurs ainsi déboutés sont très souvent légitimement mariés depuis des années à des Françaises.
Des réponses arbitraires
En juillet dernier, une vidéo publiée sur Facebook montrait une scène dramatique devant l’ambassade de France à Tunis. Une Française mariée à un Tunisien et mère de deux enfants a exprimé son désespoir en portant un tee-shirt imbibé d’essence, menaçant de s’immoler par le feu pour dénoncer le refus persistant de visa pour son mari. «Nous avons déposé deux demandes de visa, mais elles ont été refusées, sans justification claire de la part des autorités françaises», a-t-elle confirmé. Et de souligner : «Nous sommes mariés depuis quatre ans et avons fondé une famille avec deux enfants. Malgré cela, les autorités consulaires ont qualifié notre union de “mariage blanc” !». Deux policiers français en faction ont tenté de la raisonner la dame en détresse et de l’empêcher de commettre l’irréparable.
Ce drame a mis en évidence les difficultés rencontrées par de nombreuses familles franco-tunisiennes confrontées à des obstacles administratifs et à des interprétations restrictives des politiques françaises de délivrance de visas.
Les conditions d’obtention de visas de travail, d’étude ou de tourisme pour des personnes ayant des situations financières et sociales très confortables, ainsi que pour les personnes âgées ayant des enfants en France, sont également devenues très difficiles et les refus opposés restent tout aussi inexplicables et insupportables. C’est ce que confirme le témoignage de Houssem publié dans Le Monde. Le jeune Tunisien avait préparé un dossier complet, versé un acompte de 3 000 euros pour les frais d’inscription à l’école, bloqué également 7 000 euros sur un compte conformément à l’attestation de virement irrévocable (AVI), et lancé une demande de visa via Campus France. Tout était en règle, mais il a finalement reçu un refus de visa, au motif, selon l’administration française, qu’il n’a pas présenté des «éléments suffisants permettant à l’autorité consulaire de s’assurer que [son] séjour en France à des fins d’études ne présentait pas un caractère abusif», et parce que les informations fournies étaient «incomplètes et/ou peu fiables», des généralités que ces ronds de cuir affectionnent.
Un sésame humiliant
Le cas de Wafa, documenté dans l’enquête d’Inkyfada intitulée «Visa Schengen, voyage au bout de l’humiliation», illustre encore plus clairement ces situations surréalistes. La jeune réalisatrice et étudiante en architecture a exprimé son indignation sur Facebook, le 11 juin 2023, suite au refus de visa pour la France, pour elle ainsi que pour son collègue prénommé Khalil. Les deux artistes avaient été invités au Festival d’Annecy où leur court-métrage en compétition avait été sélectionné. Malgré le soutien des organisateurs du festival et leurs envois de documents supplémentaires à l’appui de leurs demandes, le consulat de France est resté silencieux. Finalement, après que le post ait pris de l’ampleur sur les réseaux sociaux, le consulat a répondu, le 13 juin, en indiquant qu’«il manquait des documents», ajoutant ainsi une nouvelle raison aux motifs déjà signalés par TLS Contact, filiale de la multinationale Teleperformance, chargée des procédures de demande de visas Schengen pour le compte des ambassades de l’Union européenne à Tunis *.
Deux jours plus tard, Wafa a finalement obtenu son visa après 20 à 30 minutes d’attente à l’ambassade, suite à un appel anonyme : «Bonjour Madame Wafa, veuillez ramener votre passeport au consulat immédiatement», afin d’attraper un vol de dernière minute et de participer aux derniers jours du festival… mais sans son collègue. «Je ne connais toujours pas les raisons réelles du refus. D’un coup, je suis devenue fiable, sans aucune explication, alors que Khalil était toujours considéré comme non fiable, même si nos dossiers étaient identiques. (…) J’étais très en colère, même le jour de mon départ. La situation était encore pire pour Khalil, qui n’a même pas pu assister au festival», s’est-elle insurgée.
Des pions dans un jeu politique
Les procédures de demande de visa pour la France en Tunisie semblent devenir de plus en plus complexes depuis 2021, et ce dans le cadre d’une politique française volontariste visant à réduire de 50% la délivrance de visas pour l’Algérie et le Maroc, et de 30% pour la Tunisie. Cette décision politique est présentée comme une mesure de rétorsion en réponse au manque de coopération des gouvernements dans la lutte contre l’immigration illégale.
Selon les chiffres communiqués par la Direction générale des étrangers en France, les pays d’Afrique du Nord, qui ont vu la délivrance de 360 821 visas en 2022, en totalisaient 766 299 en 2019, soit plus du double. En Tunisie, le taux de refus atteint 23% entre 2021 et mars 2022. Pour ce faire, les conditions d’obtention de visas se sont considérablement durcies. Depuis septembre 2022, le délai de traitement s’est allongé à 45 jours, et la liste des pièces justificatives nécessaires s’est alourdie. Casier judiciaire, relevés bancaires ou encore preuve de réservation de billet d’avion. Le summum reste les conditions pour l’obtention d’un visa de long séjour «salarié», pour lequel on demande une liste impressionnante de pièces par courrier électronique afin de faciliter le travail de l’administration.
Cependant, pour les demandes de visa pour les conjoints de Français, les demandeurs se retrouvent toujours dans un état de frustration et d’incertitude, car les pièces justificatives, dans leur cas, ne servent pas à grand-chose, le refus étant souvent programmé d’emblée.
* On nous signale qu’en fait TLS ne communique aucun motif de refus, c’est le consulat seul qui communique, c’est le consulat qui décide et envoie les lettres sous scellé à TLS pour que les demandeurs les récupèrent. TLS n’a aucune info sur qui a eu son visa et qui ne l’a pas eu, ni sur les motifs. Ce n’est pas de son ressort. Clarification faite, cela ne change rien au fond du priblème.
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