Voir le Maroc, ce pays frère, dévasté par le séisme, nous attriste tous et nous laisse anéantis de chagrin. On espère plutôt que d’un mal viendra un bien et que, de cette catastrophe, naîtra un sursaut national pour plus de justice sociale, pour une reconstruction durable de ces villages restés déconnectés de la modernisation et du progrès économique et social.
Par Sémia Zouari *
Tous les tunisiens se sont focalisés, cœur et âme, sur le désastre qui vient de frapper nos frères marocains et ne cessent de visionner, jour et nuit, les vidéos publiées via les réseaux sociaux sur ce séisme dévastateur.
Chaque jour, le constat est terriblement douloureux et destructeur… Des villages entiers rasés de la carte, avec leurs modestes habitations en pisé effondrées sur des milliers de pauvres gens car le bilan humain de ce séisme va certainement monter à plusieurs centaines de morts, et peut-être plus, enterrés dans la sidération et la précipitation, souvent hors des décomptes officiels.
Partout, nous voyons des morts sous les décombres que leurs proches désespérés tentent de dégager à mains nues ou avec des outils rudimentaires, des pioches et des bêches. Les secours tardent à arriver dans ces petits hameaux isolés, perchés dans les montagnes rocailleuses où les éboulements ont bloqué les routes et enterré vivant le cheptel. Des cris de désespoir insoutenables des humains blessés et des animaux en détresse bloqués sous les décombres.
Des visions apocalyptiques et des scènes déchirantes qui nous laissent impuissants et en pleurs…
La mort dans la dignité
Voir ce pays frère dévasté nous attriste tous et nous laisse anéantis de chagrin. Les survivants ont souvent perdu tout espoir de retrouver des proches vivants mais plus que tout c’est le besoin d’enterrer leurs morts dans la dignité alors que les corps se décomposent sous les gravats et que la bureaucratie qui devrait accompagner les procédures administratives semble absente ou déstructurée, à l’heure où l’on réclame encore des certificats de décès pour l’inhumation…
Contrairement au discours policé de la population citadine, notamment celle de Marrakech, qui reste dans l’autocongratulation du pouvoir, la colère gronde parmi cette population rurale marginalisée et sans aucune infrastructure de base digne de ce nom, avec le désespoir de ceux qui ont tout perdu en quelques secondes…
La catastrophe a mis tristement et dramatiquement à nu les failles d’une société profondément inégalitaire derrière la carte postale d’un pays touristique réputé pour ses rues propres et son environnement bien entretenu et ordonnancé…
Même si la société civile marocaine se mobilise activement, aux côtés des forces armées royales, pour apporter les aides humanitaires d’urgence, c’est la ville de Marrakech qui centralise les aides et l’on ressent un retard préjudiciable dans le dispatching sur les villages de la région épicentre du séisme, dont l’accessibilité a été encore plus compromise par les effondrements de pans entiers des montagnes.
L’attitude des autorités étonne
Parmi tous les pays du monde qui ont proposé leur aide, l’attitude de refus des autorités marocaines étonne et laisse dubitatif… Pourquoi cette réticence à accueillir une aide d’urgence? Ont-elles sous-estimé l’ampleur des dégâts ? Ont-elles surestimé leurs capacités à prendre en charge cette terrible catastrophe ? Craignent-elles une ingérence des médias et des pays étrangers dans leurs affaires intérieures avec des jugements critiques sur les inégalités socio-économiques criantes de l’arrière-pays délaissé ? Pourtant tous les pays voisins et lointains ont manifesté leur solidarité et leur sympathie au Maroc et se sont déclarés prêts à lui venir en aide…
Le sentiment d’injustice sociale jaillit dans toute sa détresse avec la pauvreté et la misère de la région la plus dévastée par ce séisme. Pourrait-on y voir survenir des révoltes des laissés-pour-compte du «miracle économique marocain»?
Certaines vidéos montrent des habitants en totale exaspération jusqu’à interpeler leurs autorités et les accuser de les laisser livrés à leur triste sort, sans eau, sans secours, sans ravitaillement…
On espère plutôt que d’un mal viendra un bien et que, de cette catastrophe, naîtra un sursaut national pour plus de justice sociale, pour une reconstruction durable de ces villages restés déconnectés de la modernisation et du progrès économique et social.
Démunis face aux catastrophes naturelles
Et on ne peut s’empêcher de s’interroger sur notre propre sort si un séisme pareil survenait en notre Tunisie, un pays dans la ligne de fracture Afrique-Europe, qu’adviendrait-il de nous? Aurions-nous ce même élan de solidarité nationale et cette mobilisation massive de nos frères marocains ? Pourrions-nous éviter des scènes de pillage par les éternels profiteurs sans foi ni loi? Notre armée, notre système de santé et de protection civile seraient-ils en mesure de porter les secours aux victimes, dans les délais impartis?
Il est loin le temps où, en 2011, notre pays était le seul pays à garder ses frontières ouvertes avec la Libye et accueillait sans broncher deux millions de réfugiés avec l’organisation parfaite de notre armée et la mobilisation de la société civile.
A voir qu’aujourd’hui la Libye affronte une tempête d’une violence exceptionnelle devant laquelle elle semble démunie, on est en droit de se questionner sur les capacités logistiques et organisationnelles de notre propre pays à affronter et gérer des catastrophes naturelles de grande ampleur, à l’heure où la gestion de notre quotidien le plus basique est devenue un parcours du combattant pour chaque citoyen lambda. Que Dieu nous protège tous…
* Diplomate.
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