Le journal londonien arabophone Al-Quds al arabi a révélé les dessous de l’avènement de Yahya Sinwar à la tête du Hamas. L’Iran, principal bailleur de fonds du mouvement palestinien, a pesé de tout son poids pour que ce ne soit pas Khaled Mechaal. Un épisode qui prouve l’influence iranienne sur le Hamas et sur l’Axe de la Résistance au Moyen-Orient que dirige la république islamique. En abandonnant les Palestiniens à leur sort, les pays arabes ont aggravé leur dépendance actuelle vis-à-vis de l’Iran.
Imed Bahri
«Trois indicateurs sont apparus qu’il ne faut pas négliger en 48 heures dans le cadre de l’ingénierie proposée par les institutions de la Choura au sein du Mouvement de la Résistance islamique Hamas pour aborder la question de la succession du martyr Ismail Haniyeh, chef du Bureau politique assassiné à Téhéran mercredi dernier (31 juillet 2024, Ndlr). La charte intérieure qui est habituellement régi par le Conseil de la Choura du mouvement, le ’’Parlement de la Résistance’’, s’est avérée ne comprenant pas un texte clair qui aborde la situation dans laquelle le président du mouvement et son premier adjoint sont absents ou assassinés ensemble ou concomitamment», écrit Al-Quds Al Araby faisant allusion aux postes de président et de vice-président laissés vacants après les assassinats successifs de Salah Arouri, vice-président, puis d’Ismaïl Haniyeh, président. Le Hamas s’est donc retrouvé face à une situation inédite. Cette situation a généré plusieurs propositions émanant des coordinations ainsi que des consultations du comité exécutif du mouvement et du Conseil de la Choura.
Meshaal se désiste au profit d’un autre «frère»
Cependant après examen, il est apparu clairement que l’adjoint le plus proche de Haniyeh, Khaled Meshaal, «n’était pas disposé» à prendre la tête du mouvement et avait insisté sur son engagement à ne pas se présenter au poste de chef du bureau politique et qu’il n’avait aucune réticence «à ce que l’on choisisse n’importe quel frère» issu la pyramide dirigeante du Hamas.
La position de Meshaal a été perçue comme une preuve de son leadership et sa contribution à garantir que l’unité du mouvement loin de tout calcul personnel. Une manière de dire qu’il a fait passer le mouvement, sa pérennité et son unité avant sa personne.
Pendant ce temps, deux propositions n’ont pas abouti, la première concernant le dirigeant du Hamas en Cisjordanie Zaher Jabareen qui a accédé à ce poste après l’assassinat de Salah Arouri en janvier dernier. Arouri cumulait à la fois le poste de vice-président du Hamas et de dirigeant du mouvement en Cisjordanie. Jabareen lui a succédé pour le second poste et non pas pour le premier resté vacant car il faut être élu pour devenir vice-président. «Tout le monde au sein du Hamas revenait à ce que le martyr Haniyeh lui-même avait dit quand Arouri avait disparu en l’occurrence que la nomination du deuxième homme après Arouri n’est pas possible sans une décision du Conseil de la Choura», précise Al-Quds Al Araby.
La deuxième proposition qui semblait consensuelle au premier abord était que le président du Conseil de la Choura assume la direction du mouvement et il s’agit du principal dirigeant de l’ombre Mohammad Darwish mais il y a une réserve quant à l’idée de cumuler à la fois deux pouvoirs à savoir le Conseil de la Choura qui est l’organe législatif et la présidence du bureau politique qui est l’organe exécutif. Par conséquent, il a été convenu que Darwish démissionne de la présidence de la Choura pour être élu à la tête du bureau politique mais Darwich a préféré continuer à diriger la Choura et s’est joint à tout consensus entre les frères (les membres du Hamas s’appellent entre eux frères).
L’option Sinwar s’impose d’elle-même
Après que les options de Darwish et Meshaal n’étaient plus d’actualité, l’option la plus sûre pour atteindre le niveau du consensus était le choix de Yahya Sinwar, qui, faut-il le rappeler, vit dans la bande de Gaza occupée par Israël, et ce pour plusieurs considérations relatives au terrain, à l’organisation et à la politique.
Al-Quds Al-Arabi a également abordé une question importante que le journal dit avoir vérifié et qu’elle est approuvée par le récit de Moussa Abou Marzouk, cadre dirigeant du Hamas et qui fut son premier chef de bureau politique dans les années 1990, qui a déclaré aux médias russes, mercredi soir, que «des messages politiques spéciaux de grande importance ont été discutés au sein du cercle d’examen des options.»
Les plus importants de ces messages étaient ceux contenus dans un communiqué officiel du ministère turc des Affaires étrangères qui utilisait l’expression «chargé de la présidence par intérim du mouvement Hamas Khaled Meshaal», ce qui a suscité une certaine controverse car le Conseil de la Choura du mouvement n’avait pas encore pris de décision et parce que cette qualification n’existe pas dans la charte du Hamas.
L’autre message qui est le plus important émanait de Téhéran qui accueille généralement favorablement tout choix fait par les l’institution de la Choura du mouvement palestinien mais qui a fait savoir que le choix de Khaled Mechaal pour diriger le Hamas compromettrait les relations avec Téhéran. Meshaal s’est cependant ravisé assez tôt, a accepté les messages de Téhéran, s’est retiré et a soutenu l’option de Sinwar. Dans l’article «Hamas: Qui succédera à Ismaïl Haniyeh?», nous sommes revenus sur la dégradation des relations entre Khaled Mechaal et l’Iran et la raison pour laquelle il n’est pas en odeur de sainteté chez les responsables syriens et iraniens depuis 2012. Nous avons d’ailleurs écrit dans cet article que «le retour de Khaled Mechaal à la tête du Hamas pourrait agacer les Syriens et les Iraniens».
«Les circonstances et les considérations de cette étape ne tolèrent pas une appréciation coûteuse concernant la question de la succession de Haniyeh», commente d’ailleurs Al-Quds Al Arabi. Autrement dit, dans le contexte actuel de guerre avec Israël, le moment est mal indiqué pour fâcher le bailleur de fonds iranien et se le mettre à dos.
Le journal arabophone londonien rapporte également qu’entre-temps, un troisième indicateur est apparu lorsqu’il a été demandé au fils du martyr Haniyeh de se mettre en avant des rangs lors de la prière funéraire. Ce dernier a choisi pour conduire la prière le compagnon et ami de son père, Khalil Al-Hayya, responsable des relations arabes et islamiques du Hamas qui avec feu Salah Arouri a œuvré au rétablissement des relations avec Téhéran et Damas. Ce serait une indication que Sinwar pourrait déléguer ses pouvoirs à l’étranger à Hayya qui est un protagoniste important et actif dans le dossier des négociations actuelles pour un accord de cessez-le-feu à Gaza.