Iran-Israël : Ne nous trompons pas d’ennemis ?

Nous présentons ci-dessous un aperçu historique pour essayer d’analyser le rôle de l’Iran chiite dans le sanglant conflit au Moyen-Orient et expliquer la sympathie que ce pays suscite auprès de beaucoup d’Arabes sunnites et notamment de Tunisiens, avec l’espoir d’un nouvel ordre mondial après le chaos.

Sémia Zouari *

Nonobstant la forte solidarité naturelle avec le géant iranien (qui s’est engagé loyalement, même si modestement, à défendre la cause palestinienne contre l’occupation et la persécution de l’Etat voyou d’Israël et de ses dirigeants suprémacistes criminels de guerre responsables de l’assassinat du cheikh Hassan Nasrallah), les Tunisiens ne doivent pas oublier que la Tunisie a partagé avec la Perse une longue histoire commune lorsque le califat fatimide de Mahdia donnait le pouvoir politico-religieux à la minorité chiite persécutée par la dynastie abbasside de Bagdad, dans une lutte de pouvoir fratricide sanglante où chaque camp accusait l’autre de falsifier l’histoire islamique.

Le chiisme en Tunisie

Aujourd’hui majoritairement sunnite, principalement malékite, la Tunisie tend à occulter, voire refuser d’assumer son passé fatimide chiite et ce lien qui suscite chez les Iraniens une grande fascination pour la ville de Mahdia et l’histoire brillante de Moez Lidinillah El-Fatimi qui porta haut l’étendard de l’islam chiite et fut le fondateur de la ville du Caire.

Pourtant l’Iran n’est pas aujourd’hui notre ennemi, même si le régime de Bourguiba l’a ostracisé pour son financement probable du mouvement islamiste de Rached Ghannouchi, largement inspiré des doctrines khomeinistes, et responsable des attentats terroristes de 1986 contre des touristes à Monastir et Sousse.

D’ailleurs, il est remarquable que certaines familles tunisiennes réputées malékites et dont les théologiens se sont longuement illustrés à l’Université de la Zitouna, à l’instar des Enneifar, revendiquent leur filiation chérifienne à l’imam Hussein donc très probablement chiite. C’est peut-être pour cette raison que l’ambassade d’Iran a offert sa collaboration en 2014 pour archiver et organiser la bibliothèque des manuscrits (makhtoutats) du cheikh Mohamed Salah Enneifar, hérités de sa longue ascendance de théologiens, sachant qu’il était considéré comme l’étendard d’un islam rigoriste, vilipendé hargneusement par Bourguiba et sa volonté d’imposer un islam analogue à celui de Mustapha Kamel Ataturk en Turquie, allant jusqu’à fermer l’Université de la Zitouna et à mettre ses théologiens récalcitrants à la retraite d’office.

Le schisme religieux chiite-sunnite a toujours été, du reste, perfidement exploité par l’Occident pour instrumentaliser la chute de l’empire ottoman et le déposséder de son autorité morale et religieuse sur les lieux saints de l’Arabie au profit de l’actuelle dynastie wahhabite des Al Saoud dont l’ancêtre fut aux côtés des Britanniques pour fomenter la révolte armée contre les Ottomans, menée via l’agent militaire britannique Lawrence, érigé en héros de l’indépendance des pays du Golfe, alors qu’il n’avait fait que servir les intérêts politico-économiques du Royaume-Uni.

Eclatement du monde musulman

Historiquement, les Britanniques n’ont pas cessé de fomenter la dissension entre chiites et sunnites pour affaiblir la oumma islamique et recomposer le Moyen-Orient en Etats rivaux, voire ennemis, quitte à sournoisement rayer de la carte le Kurdistan qui compte plus de 38 millions de Kurdes disséminés entre l’Iran, l’Irak, la Syrie, la Turquie, l’Arménie, l’Azerbaidjan… Et à finalement créer les Etats de la Jordanie et d’Israël aux dépens de la Palestine historique principalement.

Par la suite, la création de la Ligue des Etats arabes (LEA) en 1945 poursuivait le même objectif d’éclatement du monde musulman séparé des deux puissances turque et iranienne et affaibli par les luttes orchestrées et instrumentalisées. C’est pourquoi cette LEA (constituée de «moulouks tawaef» et d’Etats sous tutelle coloniale, aux frontières soigneusement dessinées par les impérialismes occidentaux) n’a pas pu empêcher la création de l’Etat d’Israël et la Nakba palestinienne en 1948. Aujourd’hui encore elle reste «un machin» budgétivore et inutile, sauf à accorder des salaires faramineux à des hauts fonctionnaires bénéficiant du pouvoir régalien de dirigeants aux ordres de qui on sait.

Israël devait être et continue de constituer une tête de pont occidentale, à l’origine de continuels conflits armés destinés à maintenir constamment la région sous tension pour mieux en contrôler les ressources en hydrocarbures.

Ce fut et cela reste la stratégie de la perfide Albion pour l’approvisionnement de sa flotte marine et de ses transports terrestres, aériens et ferroviaires conformément à la transition énergétique de la vapeur vers le moteur à combustion alimenté au pétrole, engagée au début du 20e siècle.

Le Royaume-Uni reste à ce jour l’idéologue et l’architecte des impérialismes occidentaux avec la complicité française historique dans les accords de Sykes-Picot. Combien de fois ai-je médité les déclarations du spécialiste de la région Mena, le brillant diplomate britannique du Foreign Office Alistair Burt… Les Américains suivent les stratégies élaborées par les Britanniques…

L’Iran chiite diabolisé

Pourquoi dès lors s’étonner de ce que l’Iran chiite ait été davantage diabolisé et cloué au pilori lorsque le Chah a décidé de nationaliser son pétrole aux dépens des multinationales britanniques et américaines qui se gavaient de son exploitation?

Des décennies après la révolution islamique de 1978, et malgré tout le rejet du régime des Ayatollahs et les multiples manœuvres de déstabilisation, l’Iran est actuellement la première puissance de la région, probablement détentrice de l’arme de dissuasion nucléaire, en rivalité avec l’Arabie Saoudite, remise en cause pour sa gestion partiale des lieux saints de l’islam et elle-même en course pour l’acquisition de l’arme nucléaire en collaboration avec le Pakistan, sans que cela suscite l’ire d’un gendarme occidental.

Israël craint l’Iran à juste titre, avec la rancune tenace à l’encontre des descendants de Nabuchodonosor II qui détruisit le temple de Jérusalem et chassa les juifs au 7e siècle avant J.-C. sur les chemins de l’errance et de l’exil…

De leur côté, les monarchies du Golfe ont entretenu sciemment la diabolisation des chiites alors qu’au total leur nombre ne dépasse pas les 120 millions de fidèles dans le monde, tandis que les sunnites sont majoritaires avec plus d’un milliard de fidèles et ont toute latitude de persécuter une minorité chiite, réputée pour sa vision révisionniste de l’islam tel que prônée par les adeptes du calife Aboubaker Essedik, arrivé au pouvoir, selon les historiens, via l’entregent de sa fille Aïcha dont les milices seraient à l’origine de la mort de Fatma, l’unique véritable fille du Prophète, suite à une fausse couche provoquée par son agression. Son mari, Ali, cousin et gendre du Prophète, et leurs enfants, Hassen et Hussein finiront eux aussi assassinés sur l’autel de la traîtrise fratricide et des accusations croisées des deux camps rivaux…

Les chiites arabes

Mais aujourd’hui, contrairement aux volontés totalitaires des dirigeants sunnites, chaque pays du Machrek possède une population chiite, trop souvent persécutée, dont il doit tenir compte.

A l’instar de l’Arabie Saoudite dont les principales ressources en hydrocarbures se trouvent en zone chiite, face à l’Iran.

Aux Émirats arabes unis la population dubaiote est à 40% d’origine chiite iranienne et c’est elle qui fait la fortune de Dubaï, port de contournement de l’embargo contre l’Iran, dont elle assure l’approvisionnement au prix fort, entre autres des phosphates tunisiens, listés produits prohibés par les Américains en raison de leur teneur en uranium.

Au Koweït les chiites sont bien présents et audibles jusqu’au parlement.

En Irak, ils sont majoritaires et s’opposent aux sunnites financés par les autres pays du Golfe pour retrouver leur suprématie avec la complicité des Américains et leur milices autoproclamées islamistes qui ont ensanglanté et pillé l’Irak et ses richesses, après avoir été formées et entraînées dans la base militaire américaine d’Al-Zarkaa, en Jordanie.

Au Qatar, les chiites et les Iraniens sont considérés comme des alliés plus fiables que «la grande sœur saoudienne» qui a fomenté une tentative de coup d’Etat contre l’émir Tamim, en 2018, déjouée grâce à la garde prétorienne turque mise à sa disposition par le «frère Erdogan» dans le cadre de la solidarité commune avec la mouvance des Frères musulmans.

Au Yémen, berceau de civilisation de l’Arabie bienheureuse, victime de l’odieuse attaque massive de la coalition arabe en 2015, ce sont les Houthis, chiisés suite au séjour iranien de leur leader religieux, qui subissent la répression et la confiscation de larges pans de leurs territoires par l’Arabie Saoudite. Ils résistent témérairement à la loi de la jungle qui ensanglante la région et aux continuelles ingérences saoudiennes, soutenues par l’armée égyptienne, comme en 1962 lors de la présidence de Gamal Abdel Nasser.

Aujourd’hui qualifiés de rebelles terroristes par l’Occident, ces Houthis sont en réalité les aristocrates du Yémen, les descendants de la reine de Saba et les véritables possesseurs du Yémen, «cimetière des empires» et citadelle imprenable.

Enfin n’oublions pas les minorités chiites alaouites de Syrie qui sont au pouvoir depuis plus d’un demi-siècle, celles du Liban menées par le Hezbollah et légitimées par leur lutte victorieuse contre les invasions israéliennes.

Contrairement à ce qui s’est répandu sur les réseaux sociaux, en résonance avec les thèses sionistes, occidentales et celles de leurs complices maronites dans le massacre du camp palestinien de Sabra et Chatila, le Hezbollah est considéré par les Libanais comme «un mouvement de lutte nationale contre l’hégémonie sioniste et ses agressions contre tous ses voisins», selon les propos de l’ambassadeur libanais Sami Kronfel, au Conseil permanent de la francophonie, à Paris en 1996.

La trahison des «normalisateurs»

Rien n’est plus triste pour nous autres Tunisiens, observateurs impuissants de la débâcle en Palestine occupée et au Liban et des crimes de guerre sionistes, de voir l’Iran, leur défenseur le plus engagé, se trouver la cible d’une probable attaque massive du camp occidental ouvertement et brutalement pro-sioniste, dont l’issue serait fatale à ce magnifique et beau pays, berceau de la plus grande civilisation de la région.

Mais l’histoire des Croisades subies par notre monde musulman durant des siècles, à l’instigation de ce même Occident dominateur, arrogant, brutal et suprémaciste, nous apprend que seule l’union du camp musulman avait pu déjouer ses attaques et ses massacres, au nom de la «libération du tombeau du Christ», ce prophète de Palestine, sémite, livré au lynchage le plus indigne par un Ponce Pilate venu de Rome et stigmatisé par de cupides marchands du Temple.

L’avenir nous dira si la traîtrise, la non-assistance aux Palestiniens, la peur de perdre des pouvoirs illégitimes et chancelants, l’opportunisme des pays qui ont normalisé avec l’Etat voyou d’Israël et ses dirigeants criminels de guerre leur aura rapporté plus que le déshonneur…

 Pour le moment seul l’Iran et ses alliés chiites du Hezbollah et du Hamas ont mis du baume au cœur de nos frères palestiniens tant à Gaza qu’en Cisjordanie. Ne laissons pas dire que ce sont des terroristes alors que ce sont des mouvements légitimes de lutte contre l’occupation et la colonisation. Les véritables terroristes sont ceux qui massacrent depuis près d’un siècle pour spolier les terres et les maisons des Palestiniens.

Espérons que d’un mal viendra un bien, que la Palestine recouvrira ses droits et que l’Onu se restructurera pour un nouvel ordre mondial débarrassé des monstruosités de cet Occident impérialiste et dominateur qui refuse d’admettre que le temps des colonisations, des massacres et du pillage du Tiers-monde est révolu.

* Diplomate.

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