Les responsables américains et israéliens affirment avoir obtenu de grands succès après la dernière frappe israélienne contre l’Iran, sauf que derrière la satisfaction des gains tactiques se cache une préoccupation à plus long terme, car beaucoup craignent que les dirigeants iraniens concluent qu’il ne reste plus qu’un seul moyen de défense, c’est prendre l’initiative d’acquérir des armes nucléaires. (Illustration: Téhéran).
Imed Bahri
Le New York Times a rapporté que lorsque les avions de combat israéliens ont lancé une attaque contre l’Iran, ils se sont dirigés vers deux cibles principales: les défenses aériennes qui protègent Téhéran et les mélangeurs géants de carburant qui fabriquent le carburant pour la flotte de missiles iranienne.
L’élément de surprise pour les Iraniens a été un nombre de frappes qui a conduit à la destruction des défenses aériennes protégeant plusieurs raffineries pétrolières et pétrochimiques vitales ainsi qu’environ 12 mélangeurs de carburant sans lesquels l’Iran ne pourrait pas produire davantage de missiles balistiques qu’elle a lancés sur Israël le 1er octobre dernier et cela pourrait prendre plus d’un an pour les remplacer par des fournisseurs chinois et autres.
Encore une fois ces frappes ont prouvé que le renseignement israélien dispose d’informations précises sur le lieu des sites sensibles en Iran.
Cependant, le sentiment des Iraniens qu’il ne leur reste plus qu’à se doter de l’arme nucléaire est ce que les stratèges américains combattent désespérément depuis un quart de siècle usant du sabotage, des cyber-attaques et de la diplomatie pour empêcher Téhéran de franchir le seuil et de devenir une puissance entièrement dotée de l’arme nucléaire.
Le président américain Joe Biden, qui a publiquement mis en garde Israël il y a trois semaines contre les frappes sur les sites nucléaires et énergétiques iraniens de peur que le conflit ne dégénère en guerre régionale, a semblé pour la première fois satisfait du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, a déclaré: «Il semble qu’ils n’aient frappé que des cibles militaires».
Le guide suprême iranien Ali Khameneï rencontrait de hauts dirigeants du Corps des Gardiens de la révolution islamique pour déterminer ses prochaines mesures. Il a adopté un ton mesuré dans ses premières déclarations sur les attaques affirmant qu’elles ne devraient être ni exagérées ni minimisées. Il y avait peu de preuves qu’une décision avait été prise concernant les attaques.
La table est mise pour une désescalade
Dana Stroul, ancienne responsable de la politique au Moyen-Orient au Département américain de la Défense (Pentagone) et aujourd’hui chercheur principal à l’Institut de Washington pour la politique au Proche-Orient, a déclaré que si l’Iran choisit l’escalade, ses sites militaires et nucléaires seront plus menacées expliquant que «la table est mise pour une désescalade si l’Iran choisit de le faire, sinon la prochaine réponse israélienne sera encore plus destructrice.»
Le NYT souligne que l’Iran a une autre option. Ses dirigeants pourraient lever publiquement ou secrètement l’interdiction apparente imposée par le Guide suprême sur la construction d’armes nucléaires d’autant plus qu’il n’a jamais été aussi proche du seuil nucléaire qu’il ne l’est aujourd’hui et possède des stocks plus importants d’uranium proche de la qualité de la bombe.
L’Iran possède désormais selon les rapports de l’Agence internationale de l’énergie atomique suffisamment d’uranium moyennement enrichi pour produire trois ou quatre armes grâce au boom de la production qui a commencé peu après le retrait de l’ancien président américain Donald Trump de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien en 2018.
Cependant, le journal américain estime qu’il faudra peut-être beaucoup plus de temps, peut-être plus de 18 mois, pour transformer ce combustible en ogive nucléaire en supposant que l’Iran ne reçoive pas l’aide d’une puissance nucléaire établie comme la Russie, son plus gros client pour les drones, ou la Corée du Nord avec laquelle elle a travaillé un gros plan sur la technologie des missiles balistiques.
Les responsables américains affirment que jusqu’à présent, ils ne voient aucune preuve d’une décision politique de la part des Iraniens de se lancer dans une course à l’arme nucléaire mais que les pays construisent des armes nucléaires lorsqu’ils se sentent faibles, comme l’a dit un haut responsable américain, et c’est exactement le sentiment national qui prévaut dans la république islamique aujourd’hui.
Dans les jours qui ont suivi la frappe iranienne du 1er octobre qui a suivi la mort du secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah suite à une frappe aérienne au Liban, Biden a mis en garde Israël avec force soulignant la nécessité de maintenir les sites pétroliers et nucléaires hors de la liste des représailles.
Une attaque d’ouverture
Finalement, les Israéliens n’ont pas survolé la Jordanie mais ont plutôt traversé principalement la Syrie et dans une moindre mesure l’espace aérien irakien d’où ils ont tiré leurs missiles sur l’Iran selon un communiqué publié par les forces armées iraniennes. Les responsables américains n’ont pas précisé quel genre d’arrangements avait été conclu avec le gouvernement irakien et ont renvoyé toutes les questions aux Israéliens.
Le lendemain de l’attaque, les membres de la coalition d’extrême-droite de Benjamin Netanyahu ont regretté que les frappes ne soient pas allées plus loin et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, qui a exhorté Netanyahu à bombarder directement les sites de production nucléaire iranien, a déclaré: «L’attaque de samedi devrait être considérée comme une frappe d’ouverture.»
Yair Lapid, le chef de l’opposition parlementaire, s’est joint à Ben Gvir dans ses critiques. Il a affirmé que Netanyahu avait commis une erreur en répondant aux avertissements de Biden et a déclaré que la décision de ne pas viser des cibles stratégiques et économiques en Iran est une erreur.
En conclusion, la frappe israélienne qui a épargné les sites nucléaires et pétroliers a évité une grande escalade et une guerre d’ampleur dont les conséquences seraient mondiales mais n’a pas mis fin au malaise israélo-américain concernant le nucléaire iranien. Rien ne peut garantir aujourd’hui que la République islamique s’abstiendra de se doter de l’arme nucléaire.
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