Elections américaines : Ce qui fait fuir les Arabo-musulmans de Kamala Harris ?

Moins d’une semaine nous sépare de la très attendue élection présidentielle américaine. C’est la dernière ligne droite et le monde retient son souffle. Alors que Donald Trump a été au Michigan la semaine dernière et y a rencontré la communauté arabe et musulmane, Kamala Harris s’y est rendu dimanche et lundi. L’écart se rétrécit entre les deux candidats au sein de cette communauté au Michigan. La candidate démocrate ne devance désormais plus le républicain que de 0,4%. Gaza y est pour beaucoup mais pas seulement, les questions sociétales et le poids de l’idéologie woke* font fuir l’électorat arabe et musulman. 

Imed Bahri

D’après l’enquête du magazine britannique The Economist, la guerre à Gaza n’est pas la seule raison qui pousse les musulmans et les Arabes américains à abandonner les démocrates. Dans le Michigan où la candidate démocrate Kamala Harris est en avance de moins d’un point sur le candidat républicain Donald Trump, les résultats de cet État feront la différence. 

Lors des conférences de presse tenues le 27 octobre dans les locaux de la Chambre de commerce arabo-américaine à Dearborn, dans la banlieue de Détroit, l’ambiance était inconfortable. D’un côté de la table du conseil d’administration, devant une foule de caméras et de microphones, étaient assis une douzaine d’hommes et de femmes qui pèsent lourd dans les cercles arabo-américains. Ils ont pris la parole à tour de rôle et chacun a expliqué comment ils étaient directement touchés par la guerre au Moyen-Orient, comment ils se sentaient déçus et trahis par le président Joe Biden et comment, malgré tout cela, ils voteraient pour Kamala Harris.

La colère est mauvaise conseillère

James Zogby, le deuxième orateur et fondateur de l’Arab American Institute, a déclaré: «J’ai entendu des gens dans ma communauté parler de punir les démocrates à cause de cette guerre» avant d’ajouter: «Ils ne puniront pas les démocrates, ils puniront les migrants et ils puniront des innocents.» Il a terminé son discours par un plaidoyer: «Ne vous contentez pas de punir le pays, le monde, vos enfants et vos petits-enfants parce que vous ressentez de la colère.»

Pendant qu’ils parlaient, une petite foule brandissant le drapeau palestinien s’est rassemblée à l’extérieur, suggérant qu’elle fera exactement cela à savoir punir les démocrates. Ils ont scandé: «Ceux à l’intérieur sont des traîtres et approuvent notre génocide». Ils ont ensuite qualifié les participants à la réunion d’agents du sionisme. Selon Jenine Yassin, l’une des manifestants, la seule différence entre Harris et Trump est la rapidité avec laquelle chacun d’eux accepte le meurtre de tous les Palestiniens. Elle a dit que les deux étaient terribles mais elle pensait que Trump était au moins franc dans son mépris de la question palestinienne.

Le magazine note que le Michigan est l’un des États bascules où les sondages suggèrent que Harris a la plus faible avance jamais enregistrée par les démocrates, seulement 0,4%. Selon le Bureau national des statistiques, 310 000 personnes déclarent être originaires du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord dans cet État soit environ 3% de sa population totale. Par conséquent, gagner les voix des électeurs arabes pourrait donner à Trump la victoire aux élections.

Le 26 octobre, l’ancien président est apparu lors d’un rassemblement à Novi, une banlieue de Détroit, et à ses côtés se trouvaient 21 dirigeants des communautés musulmane et arabe (tous des hommes), après avoir été soutenu par les maires de Dearborn Heights, une banlieue à forte densité arabe proche de Dearborn et de Hamtermack, une enclave de Détroit dirigée par un conseil municipal entièrement musulman. Un orateur a déclaré que «Trump parviendrait à établir la paix»

Cela n’est peut-être pas le cas car selon le sénateur républicain Lindsey Graham, Trump a déclaré au Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu qu’il était étonné par les récentes opérations militaires de l’armée israélienne et qu’il en voulait davantage. L’ancien président a appelé Netanyahu à «finir le travail», tel est le terme qu’il a utilisé. Tout cela n’a pas empêché certains Arabes américains du Michigan de donner leur voix à Trump. Rania Batriq, une militante palestino-américaine et démocrate qui a déjà travaillé dans la campagne de 2016 du candidat Bernie Sanders et qui est une partisane réticente de la campagne Harris, a déclaré que les Arabo-Américains qui soutiennent Trump savent que ses promesses de parvenir à la paix sont «un grand, un gros mensonge» mais elle craint qu’ils s’en moquent car ils sont très en colère contre Biden et Harris.

Un certain nombre d’entre eux ont d’abord exprimé la sympathie et la chaleur de Harris, mais ils ont été déçus que la vice-présidente ne se soit pas distanciée du discours de Biden après être devenue la candidate du parti.

Pour The Economist, il y a des raisons de croire que peu de musulmans seraient attirés par Trump même sans la guerre et que l’effusion de sang à Gaza et au Liban ne fournit qu’une excuse.

Un moment charnière pour les Démocrates

Lors d’un appel téléphonique organisé par la campagne Trump le 21 octobre, le maire de Hamtramck, Amer Ghaleb, n’a pas du tout évoqué la guerre à Gaza. L’un des imams présents a considéré que si Harris gagne: «Les garçons deviendront des filles et les filles deviendront des garçons».

Melissa Gilchrist, résidente de Hamtramck, dit qu’elle pense que le soutien de Ghalib à Trump a davantage à voir avec la politique locale. Il y a un an, elle était à l’avant-garde d’une protestation contre Ghalib après qu’il ait retiré le drapeau arc-en-ciel de la communauté LGBTQ de la mairie. Elle affirme que le maire et ses acolytes sont plus conservateurs sur les questions sociétales que le Parti démocrate. Le soutien du maire à Trump est une piqûre pour ses détracteurs locaux.

Dans un sondage mené par l’Institut arabo-américain au début de ce mois, il a été constaté que les Arabes américains étaient divisés à parts égales entre les candidats. Également, des Américains arabes et musulmans ont peut-être décidé de s’abstenir de participer aux élections ou de voter pour un candidat tiers. Une campagne les encourageant à le faire, intitulée «Abandonner Harris», les a appelés à voter pour la candidate du Parti vert, Jill Stein.

Hassan Abdel Salam, le fondateur de cette campagne, dit espérer que Mme Harris perdra de peu les élections dans le Michigan ce qui inciterait les démocrates à changer de position et à s’engager et désigner un candidat qui s’engage pour une politique plus ferme envers Israël. «Nous voulons écrire l’Histoire et que nos arrière-petits-enfants se souviennent de nous pour toujours», espère-t-il.

En définitive les États-Unis vivent un moment charnière où les deux camps se sont radicalisés. Entre les suprémacistes blancs qui font bloc derrière Trump en qui ils voient un sauveur contre l’immigration qu’ils voient comme une menace qui fera d’eux une minorité dans quelques décennies et qui voient également dans l’idéologie woke une menace identitaire qui ébranle les valeurs chrétiennes et d’un autre côté le camp démocrate est allé au-delà de son progressisme traditionnel pour épouser les thèses l’idéologie woke puissante au sein du parti démocrate.

Les musulmans se trouvent donc dans un dilemme cornélien car autant la question de Gaza est importante pour eux et ils savent que Trump est plus pro-israélien que Harris; cependant les musulmans, qu’ils soient attachés à la foi ou même non pratiquants, ont du mal à voter pour une candidate certes issue de la diversité mais qui défend le mariage homosexuel et dont l’idéologie woke ne cesse de monter en puissance dans sa formation politique.

La question du Moyen-Orient et principalement Gaza a son importance mais les thèmes sociétaux le sont tout autant et peuvent être le motif du divorce entre l’électorat arabo-musulman et le parti démocrate.

* Le terme anglo-américain woke («éveillé») désigne initialement le fait d’être conscient des problèmes liés à la justice sociale et à l’égalité raciale. En raison de son adoption croissante au-delà de ses origines afro-américaines, le terme est devenu un fourre-tout utilisé pour désigner et généralement critiquer des militantismes souvent centrés sur la défense des droits de groupes minoritaires et s’appuyant sur les idées de courants universitaires comme la critical race theory («théorie critique de la race») qui visent à promouvoir la justice sociale. Celles-ci incluent le mouvement Black Lives Matter et des formes connexes d’antiracisme, ainsi que des campagnes sur les questions relatives à la condition féminine (comme le mouvement #MeToo) et aux droits LGBT.

Donnez votre avis

Votre adresse email ne sera pas publique.

error: Contenu protégé !!