Au-delà du cas particulier évoqué dans cette lettre ouverte, et qui relève de la pratique quotidienne d’un cardiologue aux prises avec des situations requérant des décisions parfois critiques, c’est l’intelligence du rapport entre le médecin, le patient et la maladie qui est ici analysée.
Dr Mounir Hanablia
A Madame F. B. Az, Sage-Femme.
Chère Madame.
Je voudrais vous apporter quelques informations concernant votre parente, que j’avais vue deux ou trois fois depuis environ deux ans, la dernière fois remonte à peut-être un an. Selon ce dont je me souviens, une coronarographie avait été indiquée par un de mes collègues, dont je n’avais pas jugé l’indication justifiée.
Puisque la question m’a été posée, je voudrais préciser que la coronarographie ne s’imposait pas quand votre parente était venue me voir.
Il me semble, si mes souvenirs sont corrects, que l’histoire clinique ne préjugeait pas d’atteinte coronarienne et que l’ECG et le Holter Rythmique ne révélaient pas de signes d’ischémie myocardique évolutive. Il n’y avait à priori aucune raison de demander cet examen, qui comme tout autre, soumet le patient à un risque même minime qu’on doit être justifié de prendre.
D’autre part, l’anti-coagulation de la patiente amenait inévitablement à la question de l’association avec les anti-agrégants plaquettaires (Plavix, Aspégic) en cas d’implantation de stents, éventualité que, obligatoirement, on garde à l’esprit avant toute coronarographie, du fait du risque hémorragique prohibitif qu’elle imposerait.
Ainsi, pour moi, seule une situation d’urgence (infarctus du myocarde) pouvait justifier chez cette patiente une implantation de stents. Et celle-ci n’existait pas quand je l’ai vue.
J’ignore pourquoi et dans quel contexte la collègue qui l’a prise en charge après moi a prescrit la coronarographie .Peut-être l’indication est-elle devenue justifiée, deux années après, dans le cadre de l’évolution naturelle de la maladie coronaire.
J’apprends maintenant qu’elle a été explorée et que trois stents lui ont été prescrits, dont il s’avère que l’implantation pose problème du fait d’une thrombopénie, ce qui ramène cette patiente en fibrillation auriculaire soumise aux anticoagulants, il faut le rappeler, pour des ictus ischémiques cérébraux répétés, à son point de départ, celui du traitement médical et de la temporisation. Le praticien, cette fois et contrairement à ses habitudes et à sa réputation, a préféré temporiser, et il a à mon avis bien fait.
Eu égard à ce qui m’a été rapporté (que je n’ai moi même pas visualisé, et dont je n’ai pas pris connaissance de documents en faisant état), l’indication de l’implantation des stents existe selon l’étude de référence Syntax qui démontre chez les tritronculaires stentés (3 artères principales sténosées) une nette augmentation de la survie à 1 an et à 5 ans. Naturellement l’existence d’un diabète modifie les résultats en faveur de la chirurgie, mais on ne va pas opérer une dame de plus de 70 ans qui a fait plusieurs ictus cérébraux.
Néanmoins l’étude de référence ultérieure Excel démontre que cette diminution de mortalité cardiaque est «compensée» par une élévation associée due à des accidents vasculaires et cérébraux ou d’autres événements. D’aucuns ont même osé parler de risque indépendant dû au stent.
En tous cas, selon Excel, la mortalité globale, stents ou pas, ne varie pas au moins à 1 an. Et on a vu comment le score Syntax II avait introduit dans l’étude de la survie d’autres facteurs (âge, insuffisance rénale, insuffisance respiratoire, cancer, etc.) qui ont tout autant leur importance.
Ceci devrait donc vous convaincre que dans le cas clinique présent, celui de votre parente, le traitement médical seul (anticoagulants, antihypertenseur) pourrait aussi bien faire l’affaire puisque la thrombopénie introduit un facteur imprévisible important dans tout stenting ultérieur.
Et en fin de compte, la coronarographie, ou le défaut de coronarographie, n’a eu aucune incidence sur sa survie, ni dans la réalité puisque deux années après elle est toujours vivante et n’a pas fait d’infarctus, ni sur le plan théorique puisque cette attitude est validée par les études de référence citées. Avec mes salutations les plus respectueuses.
* Médecin de libre pratique.
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