Après avoir relaté dans un précédent article les dures conditions d’enfance et d’adolescence de J-D Vance, qui ne l’ont pas empêché de devenir le vice-président des USA, l’auteur nous fait part dans cet article d’une autre «success story» américaine, celle de Zohran Mamdani, parti à l’âge de 7 ans de Kampala en Ouganda, pour devenir à 34 ans le plus jeune et le premier maire musulman de la métropole de New York(15 millions d’habitants). Il en tire des leçons de vie et même une lettre ouverte qu’il adresse aux jeunes Tunisiens.
Sadok Zerelli *
Dans un récent article, j’avais comparé les conditions de jeunesse et de vie de ma génération des «Baby boomers», née autour des années 1950, à celles de la génération Z, née entre l’arrivée du phénomène de la mondialisation au début des années 1990 et la «crise des surprimes » de 2008.
Je concluais que ma génération a eu la chance de vivre dans un monde en pleine expansion, un monde qui croyait encore au progrès, à l’ascension sociale par l’école, à un avenir toujours meilleur
Par contre, la génération Z a grandi, étudié et travaillé — ou cherche à le faire — dans un contexte de fragmentation constante. L’information est partout, mais la cohérence nulle part. L’avenir est au bout des doigts, mais instable comme une connexion wifi.
La révolution numérique lui offre certes une liberté quasi illimitée — mais avec une solitude accrue, un culte de la performance, une exposition permanente au regard social. Le prix de la liberté, c’est souvent le doute et l’épuisement. (voir dans Kapitalis : ‘‘La génération Z est-elle moins chanceuse que celle des «Baby-boomers»?’’)
Dans un autre article, j’avais donné un aperçu sur l’autobiographie rédigée par J-D Vance, le vice-président américain actuel, alors qu’il n’avait que 32 ans et n’était nullement connu, vendue à trois millions d’exemplaires aux USA et traduite dans plusieurs langues, dont le Français (Edition Globes) : ‘‘Une famille américaine : de la grande pauvreté aux ors de la maison blanche’’.
J’avais fait ressortir que, né au sein d’une famille pauvre, d’origine «appalachienne» (les «hillbillies»), toute son enfance était marquée par les disputes entre sa mère, toxicomane, et ses différents maris (cinq), les menaces, les déménagements constants et une absence totale de sécurité émotionnelle ou matérielle.
C’est sa grand-mère, qu’il appelle Mamaw, une femme rude, drôle, violente parfois, qui l’a élevé et qui devint la figure salvatrice de sa vie. Elle lui imposait certes des règles très strictes mais justes, avait une croyance inconditionnelle en son potentiel et lui inculpa l’idée qu’il peut s’extraire de son milieu sans renier ses racines.
J’avais tiré du parcours de vie de J-D Vance sept leçons de vie pour nos jeunes Tunisiens, dont les plus importantes sont que «l’origine sociale n’est pas un destin», «la discipline et l’effort sont des armes contre le chaos social», «ne pas renier ses origines mais ne pas s’y laisser enfermer» et surtout que«l’éducation est le meilleur ascenseur social». (voir dans Kapitalis : ‘‘La vie de D.J. Vance, un exemple pour nos jeunes’’).
Le présent article porte sur une autre «success story», qui n’est pas seulement un autre récit de réalisation du rêve américain, mais constitue un autre témoignage universel sur la pauvreté, l’immigration, l’ambition et la capacité de rebondir.
C’est celle de Zohran Mamdani qui, né en 1991 à Kampala en Ouganda et émigré à l’âge de 7 ans aux USA avec sa famille issue de la diaspora indienne, devint le 4 novembre 2025 et à l’âge de 34 ans, le plus jeune maire de New York depuis plus d’un siècle et le premier musulman à accéder à ce poste.
Un intérêt précoce pour la politique
Après son arrivée aux États-Unis, Mamdani effectue sa scolarité dans le Queens, un quartier pauvre et populaire de New York.
Pour ses études supérieures, il intègre le Bowdoin College, un établissement d’arts libéraux situé dans le Maine. Il en est diplômé en 2014, avec une licence en «Africana Studies» (études africaines / diaspora) et une mineure en gouvernement.
Pendant son passage à Bowdoin, il a cofondé l’ONG étudiante «Students for Justice in Palestine» (Étudiants pour la Justice en Palestine), ce qui illustre très tôt ses engagements politiques et sociaux. Il a aussi travaillé pour le journal étudiant du collège, ce qui suggère un intérêt pour l’écriture, le débat et les questions politiques/sociales.
Ainsi, son adolescence et ses études l’ont façonné et il a été exposé tôt aux idées de justice sociale, d’engagement civique et d’activisme.
Un «socialiste démocrate»
Après l’université, Mamdani s’est engagé en politique. Il a été élu en 2020 à la New York State Assembly, représentant un district de l’ouest du Queens. Il a été réélu en 2022 et 2024, ce qui montre que son ancrage local a grandi et qu’il a su gagner la confiance de ses électeurs.
Au sein de l’Assemblée, il a initié un nombre important de projets de loi, ce qui suggère qu’il ne s’est pas contenté d’être un élu de base, mais qu’il a activement participé à la législation.
Sur le plan politique, il se décrit comme un «socialiste démocrate», c’est-à-dire issu de l’aile gauche du parti démocrate, avec un projet progressiste et un discours en faveur des classes populaires.
Parcours édifiant pour les jeunes
L’histoire de Mamdani est emblématique du rêve américain mais qui est en réalité universel : immigrant d’enfance, ayant grandi dans le Queens, éduqué dans une université prestigieuse, puis devenu représentant politique, tout cela malgré des origines modestes.
Son profil -jeune, issu de la diaspora, de confession musulmane, socialiste- incarne une diversité rarement vue. Son élection marque un tournant politique et symbolique pour tous les jeunes du monde, y compris en Tunisie.
Son engagement de longue date pour la justice sociale, les droits des minorités et les causes progressistes lui donne un capital de crédibilité auprès d’une population new-yorkaise très diverse, souvent sensible à la question des inégalités.
Leçons de vie pour les jeunes
L’élection de Mamdani comme maire de New York peut être un exemple puissant pour nos jeunes Tunisiens pour plusieurs raisons profondes : sociales, politiques, psychologiques et symboliques. Elles peuvent être résumées comme suit
1. Les origines modestes ne sont pas une barrière : Mamdani était un immigrant africain, arrivé enfant aux États-Unis, ayant grandi dans un quartier populaire. Pour nos jeunes, souvent convaincus que laréussite est réservée aux autres, son parcours montre que «l’origine sociale, le pays de naissance, la couleur de peau ou la religion ne doivent pas enfermer une vie».
2. L’engagement civique peut transformer une vie : Mamdani n’était pas un héritier politique. Il a commencé par des associations étudiantes, de l’activisme social et des actions locales dans son quartier. Puis il est devenu élu local, puis maire de New York.
Pour nos jeunes souvent désabusés par la politique, son élection rappelle que le changement commence localement, par une association, un groupe d’entraide, un projet citoyen, une initiative environnementale.
3. S’engager ouvre des portes : son élection prouve qu’on peut être jeune et accéder au pouvoir et devenir le maire de l’une des villes les plus importantes du monde.
En Tunisie, où beaucoup de jeunes se sentent exclus des responsabilités publiques, son exemple montre que l’âge n’est pas un obstacle, le leadership n’est pas réservé aux aînés et qu’un esprit jeune peut gérer une grande ville, innover et gouverner.
4. Une réussite qui valorise la diversité : Mamdani est musulman, afro-asiatique, et issu de l’immigration. Il devient maire d’une ville occidentale majeure.
Pour nos jeunes souvent confrontés au rejet et au racisme en Europe ou à la discrimination, cela montre qu’on peut être différent, et réussir, que l’identité n’est pas une faiblesse, mais une richesse. Cela redonne de l’espoir à ceux qui pensent qu’ils devront toujours «se cacher» pour réussir dans les pays où ils ont émigré.
5. Un modèle d’honnêteté et d’engagement social : son élection est portée par la lutte contre les inégalités, la défense des minorités, la justice sociale et un discours sincère et ancré dans la réalité.
Pour une jeunesse tunisienne qui souffre du chômage, du clientélisme, de la corruption et du sentiment d’injustice, Mamdani montre qu’un leader propre, jeune et engagé peut gagner. C’est un message très puissant : les valeurs peuvent triompher du système.
6. Un parcours international est possible : sans quitter ses racines, Mamdani a réussi dans un autre pays. Cela envoie un message aux jeunes Tunisiens : voyager, étudier, migrer n’est pas renoncer à soi.
L’expérience internationale peut construire des leaders et le monde est plus ouvert qu’on ne le croit.
7. L’avenir appartient à ceux qui osent : l’histoire de Mamdani dit aux jeunes Tunisiens : tu n’es pas condamné à subir, tu peux créer, agir, diriger. Aucune origine n’efface ton potentiel et aucun système n’étouffe une volonté sincère.
Lettre ouverte aux jeunes Tunisiens
Jeunes de Tunisie, garçons et filles. Vous qui marchez chaque jour entre l’espoir et le découragement. Vous qui rêvez d’un avenir qui semble parfois trop loin, regardez l’histoire de Zohran Mamdani, ou de J-D Vance. Pourquoi pas vous ?
Vous vivez dans un pays où les difficultés sont certes réelles : le chômage, la corruption, les inégalités, l’injustice, la bureaucratie du système.
Mais vous vivez aussi dans un pays où l’intelligence est vive et l’ambition une tradition familiale.
Vous êtes les héritiers d’une terre qui a toujours résisté et d’une jeunesse qui a déjà prouvé qu’elle peut transformer l’Histoire.
N’écoutez pas ceux qui vous disent que vous ne pouvez rien changer.
N’écoutez pas ceux qui vous disent que vous n’avez pas les bonnes origines, ou pas les bonnes relations, ou pas les bonnes portes d’entrée.
Les portes, vous pouvez les ouvrir.
Les chemins, vous pouvez les tracer.
Le destin, vous pouvez le renverser.
Les exemples de Mamdani et Vance vous disent ceci : on peut venir de loin et aller encore plus loin.
On peut être jeune et diriger.
On peut être différent et réussir.
On peut être Tunisien et conquérir le monde.
La Tunisie a besoin de vous et de vos idées créatrices.
N’abandonnez ni votre pays ni vos rêves.
* Economiste universitaire et consultant international.



Donnez votre avis