La réforme de l’enseignement ne doit pas s’embourber dans les méandres des négociations politiques. Elle exige des mesures impopulaires et donc du courage.
Par Rabâa Ben Achour-Abdelkéfi*
A peine annoncée, l’idée de repenser l’institution scolaire s’est embourbée dans les méandres de la politique. La solution ne peut être consensuelle, elle ne se négocie pas. Il ne s’agit pas de faire plaisir aux parents, aux élèves, aux partis politiques, aux idéologues, aux États puissants, aux bailleurs de fonds, aux syndicats, aux associations, aux croyances des uns et aux préjugés des autres…
Notre système éducatif souffre des multiples mesures populistes qui, au fil des ans et au gré des politiques du moment, ont fait de l’école une voie obligée mais sans issue. On a tenté de satisfaire les défenseurs de l’enseignement religieux en introduisant des cours d’instruction islamique dispensés par des prosélytes; on a, par ailleurs, voulu créer une école moderne, en multipliant les heures d’enseignements des langues étrangères que l’on a pris soin, cependant, de vider de leur contenu culturel; on a consolidé l’enseignement des sciences en veillant à faire des élèves des automates capables de répondre à des stimuli mais inaptes au raisonnement et ennemis de la pensée; on a réduit l’enseignement de la philosophie et dispensé les classes terminales scientifiques de l’enseignement de l’histoire. Bref, on a dépouillé l’enseignement de sa fonction première, c’est-à-dire de l’acquisition d’un savoir universel, pour lui attribuer un rôle idéologique, qui consiste non pas à transmettre la connaissance d’un patrimoine national, régional et universel mais à développer l’attachement à une identité et à l’idée d’une appartenance à une civilisation menacée.
On a créé, également, tant de passerelles pour assurer le succès de tout élève, que l’évaluation des examens n’a plus la moindre valeur. L’inflation des bonnes notes est significative. Un étudiant en lettres, par exemple, peut gravir les échelons de l’enseignement supérieur et devenir enseignant en n’ayant jamais eu la moyenne en littérature!
Réformer l’enseignement nécessite des mesures impopulaires et donc du courage. Donner à chaque élève ses chances de succès ne consiste pas à ouvrir l’université à tous mais à faire disparaître la hiérarchisation des différentes disciplines et des scores qui les classent selon un ordre d’importance pour le moins erroné. Un médecin n’est pas plus utile qu’un menuisier, n’est pas meilleur qu’un professeur de gymnastique. Quand le boulanger, le ferronnier, le maçon, l’agent de nettoyage feront leurs métiers en ayant le sentiment de l’utilité et de la valeur de leur travail; quand l’universitaire, l’ingénieur, le médecin, le juge et l’avocat auront suffisamment de modestie pour ne tirer aucune vanité de leurs fonctions; quand on aura créé des filières professionnelles et revalorisé les diplômes en établissant de vrais critères de sélection; quand on aura admis que la religion relève de l’intime et qu’elle est elle-même sujet d’étude et de réflexion; quand on aura consenti à ne plus inscrire dans les préambules des programmes de l’enseignement la mention: «Notre identité arabo-musulmane», on pourra parler de réforme et discuter alors de pédagogie, des conditions de travail, de la formation des enseignants, du rythme scolaire, des cantines, des bourses, du transport, de l’environnement et de tous les problèmes qui pèsent sur l’école publique et privée.
Le débat sur la crise de l’enseignement et sur sa réforme est mal parti.
*Universitaire.
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