Nous reproduisons ici le texte de l’allocution faite par l’auteur au Centre national des lettres, relevant du ministère de la Culture, en France, à l’occasion de la manifestation, «Les Belles étrangères : écrivains de Palestine», en 1997. Il s’y adresse à la romancière palestinienne Liana Badr (1), qui participait à la même manifestation. Un texte qui garde toute son actualité au moment où la Palestine subit les assauts répétés de l’armée d’occupation israélienne soutenue par un Occident génocidaire.
Par Tahar Bekri
D’abord, permettez-moi de vous dire que c’est avec plaisir que je vous retrouve à Paris prenant part à cette importante manifestation des «Belles étrangères» consacrée aux écrivains de Palestine. Notre dernière rencontre a eu lieu en décembre dernier à l’île Saint-Louis du Sénégal où nous avons participé au Colloque international : «Femme et créativité».
J’avais écouté avec beaucoup d’intérêt vos propos sur la femme palestinienne et son combat culturel pour s’affirmer en tant que Palestinienne mais aussi en tant que femme. Vous avez insisté, alors, sur les difficiles conditions de la création pour une auteure palestinienne : exil, errance, quête de la terre d’asile, l’immense énergie qu’exige la lutte politique aux dépens de la création et le travail d’écriture.
C’est à ce travail d’écriture, que je voudrais m’arrêter un instant, en disant que vous êtes, d’abord, une romancière. Je veux dire, par-là, que, si la réalité la plus douloureuse traverse votre œuvre, elle reste œuvre de narration, avant tout. Votre écriture restitue au langage sa vivacité, aux dialogues leur dynamique, au temps son foisonnement et son enchevêtrement. La terre palestinienne habite votre œuvre qui est un champ toujours à faire fleurir, mais combien de blessures pour de si tenaces épines ? Votre écriture est enracinée dans la mémoire de votre peuple mais cette mémoire refuse de rester statique ou trop idyllique. Vous êtes exigeante dans vos critiques et vous dénoncez souvent la condition réservée à la femme palestinienne et arabe, en général. Parfois, on vous classe parmi les auteurs féministes mais comment accepter que l’on se taise face à tant de mépris à l’égard de la femme arabe et musulmane? Dans votre roman, ‘‘Bawçala min ajli ‘abbad chams’’ (Une boussole pour un tournesol, Ed. Métropolis, 1992), vous rappelez le décalage qu’il y a entre les idéaux révolutionnaires et le sort réservé aux femmes, au sein même du mouvement palestinien. Hélas, ce sort est commun à bien d’autres révolutions et j’en veux pour preuve : les droits de la femme algérienne dans le Code de la famille, malgré sa participation effective et importante à la révolution. Aussi, la réalité palestinienne n’est-elle qu’un maillon de la chaîne arabe. Et c’est avec beaucoup de courage et de lucidité que votre œuvre refuse cela. Vous l’écrivez avec conviction et responsabilité, avec maturité et conscience. Sans concession sur votre création et votre écriture. Le cri porte en lui la beauté et la tendresse. Cela est, avant tout, une parole d’amour.
Vos personnages aiment et s’affranchissent, rêvent, luttent pour se libérer de leurs bourreaux mais aussi de ce qui les asservit : les tabous, les interdits, la pesanteur sociale, la lourdeur des traditions, les préjugés et les croyances obsolètes.
Vous dites souvent, par l’intermédiaire de vos personnages féminins, votre propre révolte, en rappelant que cette révolte est nécessaire, émancipatrice, libératrice et salutaire pour toute la société palestinienne.
En vous, je salue ce regard exigeant et vigilant sur votre peuple car c’est avec cette critique que vous vous battez corps à corps. Vous vous battez pour le soleil, pour l’espoir, pour la célébration de la vie. Votre œuvre participe de la résistance contre la volonté de mort, contre la spoliation de la terre, l’humiliation. Elle est visitation de la mémoire heureuse et refus de l’oubli. L’écriture, qui est la vôtre, est chargée de poésie. Elle porte un pays vivant une des plus grandes tragédies de l’Histoire. Vous ne demandez pas la charité, vous revendiquez votre dignité de femme, de Palestinienne. Et c’est la noblesse de vos sentiments qui vous fait dédier votre roman ‘‘Une boussole pour un tournesol’’, à votre mère qui était l’une des premières femmes palestiniennes à avoir revendiqué le pain et la liberté, dites-vous.
Ya t-il meilleur hommage à la femme palestinienne ? (2)
Notes :
1) Née à Jérusalem où elle a passé son enfance, Liana Badr se réfugia pendant la guerre de 1967 avec sa famille en Jordanie. Il lui fut impossible de revenir dans son pays, comme des milliers de Palestiniens. Commence ainsi l’exil : dix ans au Liban, cinq ans en Syrie, sept en Tunisie. Tout en militant dans les camps de réfugiés, elle a travaillé comme journaliste. S’inscrivant dans le courant de la littérature féministe, elle a organisé et participé à des forums, des débats pour la littérature féministe dans les pays arabes. Marquée par le cinéma, elle a travaillé dans le Département «Cinéma et arts audiovisuels» au ministère palestinien de la culture et ce après son retour en Palestine suite aux accords d’Oslo
2) Extrait de l’ouvrage ‘‘De la littérature tunisienne et maghrébine et autres textes’’, Ed. L’Harmattan, Paris, 1999.
Donnez votre avis