Dans cette «Lettre ouverte au président Macron», l’auteur, journaliste franco-tunisien, demande au chef d’Etat français de retrait de la nouvelle loi sur l’immigration qu’il juge «inutile et dangereuse pour nos valeurs républicaines».
Par Tarek Mami *
Monsieur le président,
En votant pour vous avec enthousiasme en 2017, et par pragmatisme en 2022, je n’aurais jamais pensé, que je me déjugerai, un jour, pour ne pas avoir eu le flair citoyen et politique de vivre, sous votre mandat, l’adoption, le mardi 20 décembre 2023, d’une nouvelle «loi immigration». Un jour cauchemar. A ma décharge votre phrase post-électorale : «Vous m’avez élu pour faire barrage à l’extrême droite. Ce vote m’oblige» (22 avril 2022). J’ai cru, sincèrement, naïvement à cette phrase. A ma charge, mon oubli des phrases de vos prédécesseurs. Celle du Général De Gaulle qui dit : «Comme un homme politique ne croit jamais ce qu’il dit, il est étonné quand il est cru sur parole». Je vous ai cru. Celle de François Mitterrand : «L’homme politique s’exprime d’abord par ses actes; c’est d’eux dont il est comptable; discours et écrits ne sont que des pièces d’appui au service de son œuvre d’action». Comme il a raison, pour ne pas dire qu’il n’a pas tort. A celles de vos prédécesseurs, j’ajoute la fameuse phrase de Charles Pasqua qui dit : «Les promesses des hommes politiques n’engagent que ceux qui les reçoivent». J’ai reçu votre promesse.
Je résume le tout à ma manière : «Nous sommes ce que nous faisons, et pas ce que nous disons être». A ma charge, également, le fait de ne pas avoir eu la clairvoyance de faire le lien entre le projet de loi immigration et l’exposé des motifs de la proposition de résolution enregistrée à la Présidence de l’Assemblée nationale, le 6 juin 2023, proposition de résolution appelant à la dénonciation, par les autorités françaises, de l’accord franco-algérien du 27 décembre 1968, présentée par des membres du groupe Les Républicains (LR) et apparentés.
Algériens !
Algériens ! le mot fétiche, à brandir, quand il faut parler des étrangers, des immigrés d’hommes et de femmes non-européens. Algériens et Algérie ! Décidément les nostalgiques de «l’Algérie française» ont encore de beaux jours devant eux. Les LR, qui sont censés être les descendants politiques du Général De Gaulle, trouvent dans cette loi immigration une occasion pour prendre leur revanche sur leur ancêtre politique, en devenant les propagandistes des thèses du FN-RN de «priorité national», étendard des héritiers idéologiques de ceux qui ont commis une tentative d’assassinat du Général De Gaulle, lors de l’attaque spectaculaire du 22 aoît 1962 au Petit-Clamart.
Récit national
L’adoption de la loi immigration efface, par un simple vote, cette sinistre tentative d’assassinat du Général De Gaulle, de notre récit national et son renvoi aux tréfonds de notre mémoire collective. Et du coup, ce n’est pas le seul effacement. L’adoption de la loi immigration efface, du même coup, plusieurs autres pages de notre récit national. Toutes les pages relatives à l’apport de ceux qui n’étaient pas Français, mais qui ont contribués à la grandeur de la France et au claquement international de son drapeau, de sa souveraineté et de sa liberté. La page des Turcos. Ces combattants algériens de l’empire colonial français (1842-1964), très vite rejoints par d’autres étrangers, marocains, tunisiens, maliens, sénégalais et autres africains. Tous de religion musulmane. Cette religion tant décriée, depuis des décennies et encore plus aujourd’hui.
Engagés comme militaires, ces étrangers ont versé leur sang dans les guerres de Crimée (1853-1856) et le siège de Sébastopol, de la première guerre mondiale, de la seconde guerre mondiale et de la guerre d’Indochine, et pour certains d’entre eux dans la guerre d’Algérie. Engagés comme travailleurs immigrés, ces étrangers ont reconstruit la France, et constitués les hussards des trente glorieuses. Leurs enfants ont offert à la France, avec l’équipe baptisée «Blancs- Blacks-Beurs» sa première coupe du monde de football, en 1998. Vingt ans plus tard, leurs petits frères ont offert à la France sa seconde Coupe du monde de football, en 2018.
40e anniversaire
L’adoption de la loi immigration, vient de fait, nier la francité de plusieurs générations d’immigrés, dont l’immense majorité est aujourd’hui constituée de citoyens français par naturalisation ou par naissance. Ce déni inacceptable vient télescoper la commémoration du 40e anniversaire de «la marche pour l’égalité et contre le racisme», déjà déformée et défigurée par la presse mainstream et la classe politique qui l’ont rebaptisée «marche des Beurs», pour ethniciser les marcheurs, les renvoyer à leur origine étrangère et les déposséder de leur dimension citoyenne, républicaine et… Française.
Et la francophonie
L’adoption de la loi immigration engrange un dommage collatéral, à travers l’angle mort de la future caution imposée aux futurs étudiants désireux de rejoindre notre pays et affermir sa culture et son rayonnement. Ces futurs étudiants détourneront leurs regards de la France et de la Francophonie. Un petit contingent, ceux qui tiennent à la francophonie, iront au Canada. Le plus grand contingent abandonnera la langue française et choisira les universités anglophones entre Angleterre et États-Unis.
Obsessions françaises
L’adoption de la loi immigration révèle et légitime, en définitive, une double obsession névrotique d’une partie de la classe politique française, celles de l’Algérie française et de la religion musulmane, dont la sémantique procède par glissements successifs : islam, islamisme, grand remplacement, abaya, terrorisme, islamo-gauchisme et la liste n’est pas exhaustive.
Monsieur le président,
Vous êtes fin politique pour ne pas vous vous rappeler comment vos prédécesseurs se sont délestés des crises politiques qui portaient les germes d’une division nationale d’ampleur. François Mitterrand a retiré la loi sur l’école libre. Jacques Chirac n’a pas promulgué la loi sur les bienfaits de la colonisation.
Monsieur le président,
Il vous est toujours possible de ne pas confier votre décision finale au conseil constitutionnel et d’honorer votre engagement post-électoral : «Vous m’avez élu pour faire barrage à l’extrême droite. Ce vote m’oblige». Il vous suffit de ne pas promulguer la loi immigration, la 117e depuis 1948, une loi que beaucoup de juristes et défenseurs des droits de l’homme qualifient d’inutile et de dangereuse pour nos valeurs républicaines, et de notre triptyque «Liberté, Egalite, Fraternité», du fait de l’introduction de «la priorité nationale» en rompant avec notre égalité et fraternité.
Monsieur le président,
Vous ne pouvez pas donner raison à votre adversaire politique, Marine Le Pen, que vous avez battu à deux reprises au deuxième tour, de deux dernières élections présidentielles. Elle qui claironne, aujourd’hui, «pour le RN, la loi immigration signe une victoire idéologique» (19 décembre 2023).
Cette non-promulgation s’impose d’autant plus que l’adoption à la majorité absolue, de la loi immigration avec 287 voix passe nécessairement par l’ajout des voix du RN. Le retrait des voix de l’extrême droite réduit le nombre de voix à 261 et manque votre objectif annoncé. Adopter la loi sans les voix du RN. Les arguties juridiques, de la majorité relative règlementaire, ne changeront rien à la lecture politique frontale. C’est bien l’appoint des voix du RN qui permet l’adoption de cette loi qui fragilise le vivre et le faire ensemble dans notre pays, et dégrade l’image de la France à l’étranger.
Donner raison à Marine Le Pen et sa fanfaronnade «victoire idéologique» reviendra, en définitive, à tuer l’idée même du front républicain, pour faire barrage à l’extrême droite, lors de la prochaine présidentielle. Le candidat de votre camp politique ne pourra pas se réclamer de ce front, ni appeler à faire barrage à l’extrême droite, et pourrait ne pas accéder au second tour de la présidentielle.
* Directeur de France Maghreb 2 Radio.
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