‘‘Le saint empire romain germanique’’: des principautés germaniques à l’idée européenne

L’idée européenne a germé depuis la transformation des principautés germaniques en Etat unitaire au cœur du Vieux continent, et ce malgré les oppositions entre Latins et Germains, catholiques et protestants, etc. Ce fut un long processus de maturation.  Dans quelle mesure les Etats arabo-musulmans, Turquie et Iran compris, pourraient-ils dépasser leurs antagonismes culturels et historiques actuels pour constituer un  seul bloc doté d’un grand poids politique et économique ?    

Dr Mounir Hanablia  

Comment les Germains en sont-ils arrivés à créer un empire Romain? En réalité, les choses n’ont pas manqué de complexité. Après les invasions barbares du Ve siècle de l’ère universelle, et la destruction de l’empire romain d’Occident, la conversion de Clovis, roi des Francs, au Christianisme, sans doute dans le but de s’assurer à la tête du royaume des Francs de la légitimité romaine sous l’égide du pape, assura la survie de l’Eglise catholique en Europe occidentale.

Néanmoins l’invasion des Lombards, un autre peuple germanique païen, en Italie, inquiéta suffisamment le Pape pour le conduire à demander la protection de Charlemagne. Les Lombards ayant été écrasés et soumis par ce dernier, le Pape saisit toute l’utilité de l’importance du Royaume Franc non seulement pour pacifier la totalité des peuples de Germanie en les convertissant au christianisme, mais aussi empêcher toute invasion ou toute entreprise politique en Italie qui pourrait menacer le territoire de Saint Pierre, autrement dit la Papauté.

Supériorité du latin sur le germain

C’est ainsi que Charlemagne fut sacré Empereur par le Pape, mais son intérêt fut bien plus d’être le Roi des Germains. Bien évidemment, la question du bien-fondé de l’autorité du Pape pour introniser les empereurs finirait par se poser, d’autant qu’un célèbre «faux en écriture» qualifié de «Donation de Constantin» d’après le premier empereur romain chrétien, lui conférerait la légitimité dont il se réclamerait pour instaurer la supériorité du spirituel sur le temporel, autrement dit du latin sur le germain, de plus en plus nommé ainsi en référence à sa langue, celle dite du peuple.

Cependant, l’Empire de Charlemagne ne lui survécut pas, partagé entre ses enfants, puis au bénéfice d’étrangers à la famille carolingienne, formant à l’ouest la France, et à l’est cet ensemble de multiples principautés germaniques d’abord qualifiées de Francie orientale qui seraient liées dans un cadre politique demeuré lâche grâce au jeu des Papes, des Évêques et des Princes allemands (Welfen, Staufen), qu’on appellerait Saint Empire Romain Germanique (Serg), et qui ne se transformerait, mise à part la parenthèse du règne de Frédéric II l’unifiant au Royaume Normand de Sicile et du sud de l’Italie, que rarement en un véritable Empire avec un seul Etat unitaire.

Il faut dire que la papauté avait démontré son refus intraitable d’une unification politique entre l’empire germanique et l’Italie. Il faudrait pour s’en rapprocher arriver à l’époque de Charles Quint et de Philippe II; mais les deux ailes des Habsbourg, l’Espagnole et l’Autrichienne, garderaient, en Allemagne, des politiques tout à fait indépendantes. Certes ! Les Habsbourg n’en deviendraient pas moins les ennemis irréductibles du Royaume de France, un autre Etat dont la constante diplomatique et militaire fut d’empêcher toute réunification des Etats allemands ou italiens. 

La religion comme vecteur de division

Il est intéressant de noter que les empereurs du Serg, d’abord nommés par les Papes  jusqu’à la querelle des investitures du XIe-XIIe siècles, cette guerre entre la papauté et l’empire dont l’objet était la domination sur les églises et la nomination des prélats et des prêtres, ces empereurs furent à partir du XIVe siècle, époque de Louis de Bavière, soumis à un processus électoral par un ensemble de sept grands électeurs (archevêques de Spire, Cologne, Worms, Mayence, électeurs du Brandebourg, de Saxe, de Bohême), excluant toute intervention de Rome.

Il faut noter dans cet ensemble disparate la présence à priori incongrue du Roi de Bohême, un royaume Slave parmi les États germaniques, que seule la présence d’une dynastie allemande (les Luxemburg) à sa tête, permettait. Cependant les Luxemburg, particulièrement le Roi Charles IV, allaient grâce à la Bulle d’Or, instaurer un cadre institutionnel, en particulier électoral, au Serg qui persisterait jusqu’à la conquête des États allemands par Napoléon Bonaparte.

Il n’en demeure pas moins que malgré leur multiplicité, les principautés allemandes depuis les plus petites jusqu’aux plus grandes, en acceptant la Diète, ce parlement des États siégeant à  Francfort, cohabiteraient dans un cadre politique commun, certes plutôt informel, sur lequel l’empereur n’exercerait aucune autorité véritable.

Mais il n’y a pas eu que les princes et les évêques pour détenir le pouvoir en Allemagne. Les villes avaient acquis une importance de plus en plus considérable en tant que productrices des richesses grâce aux multiples activités qu’elles abritaient, et certaines en formant des ligues, telles la Ligue Hanséatique, avaient étendu leurs activités commerciales au nord jusqu’à Novgorod en Russie et au sud jusqu’à Venise. Et naturellement ces villes étaient le siège de guildes de marchands où les banquiers avaient acquis une influence considérable.

De cet ensemble disparate de principautés de tailles différentes et d’intérêts divergents, le patriotisme allemand allait faire en 1870, sous l’égide de la Prusse, une colonie germanique établie sur le territoire polonais il ne faut pas l’oublier, un seul Etat, qualifié de Reich, dont le plus considérable des Etats allemands, l’Autriche, serait paradoxalement exclu, et son attachement au catholicisme romain n’y aura pas été étranger, tant les principautés du nord auront adopté le protestantisme.

En plus des oppositions politiques, dont un exemple fut la création de la Ligue Lombarde  encouragée par la papauté et la guerre l’ayant opposé à l’Empereur Frédéric Barberousse au XIIIe siècle, le facteur religieux depuis la querelle des investitures avait dès le départ opposé les Latins aux Germains, empêchant toute possibilité de fusion entre les deux races. Les Germains avaient bien accepté le cadre institutionnel légué par l’Empire Romain, mais pas au point d’y perdre leur âme ni de subordonner leur volonté politique à Rome.

Un si long processus d’unification

Il reste la question qui évidemment se pose aujourd’hui relativement à la construction de l’Europe Unie, et dans quelle mesure le passé du Serg y aura ou non contribué. Il faut d’autant plus en être conscient que l’un des arguments pour exclure la Turquie avait justement porté sur l’antagonisme historique. Certes, mais on peut tout aussi bien rétorquer que les guerres contre les Turcs auront été difficilement plus cruelles que celles ayant opposé les Européens lors de celles dites de Trente ans, de Cent ans, ou même celles que les Anglais avaient qualifiées de Trois cents ans.

Quant à savoir si, malgré l’antagonisme historique, le Serg peut constituer une référence pour une éventuelle unification des États arabes, on ne peut l’exclure au moins comme source d’inspiration, malgré la part inévitable de hasard. Il ne faut en effet nullement ignorer l’impulsion décisive attribuée à l’idée paneuropéenne par la Révolution Française ou les guerres napoléoniennes, ou bien par la politique naïve de Napoléon III au XIXe siècle en faveur de l’unification allemande ou italienne.

Toujours est-il que chaque fois qu’un Etat arabe a fait mine de se muer en Prusse, et on pense à l’Egypte du Khédive Muhammad Ali qui avait menacé d’abattre l’Empire Ottoman en décomposition, plus qu’à celle de Nasser ou à l’Irak de Saddam, il a été impitoyablement abattu. Il reste à savoir dans quelle mesure l’Iran serait susceptible d’activer cette unification, même si l’intérêt de l’État iranien n’est pas forcément d’avoir face à lui des États arabes unis… sous l’égide d’Israël.   

* Médecin de libre pratique.

‘‘Le Saint Empire romain germanique : d’Otton le Grand à Charles Quint’’ de Francis Rapp, éd. du Seuil, collection Points, Paris 20 juin 2003, 384 pages.

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