Lotfi Brahem, ministre de l’Intérieur / Nadia Chaabane.
Lettre ouverte de la constituante Nadia Chaabane au ministre de l’Intérieur sur le sort réservé par ses services aux citoyens qui ne jeûnent pas pendant ramadan («fattaras »), réduits au rang de parias, qui doivent se cacher pour manger ou fumer.
Par Nadia Chaabane *
Monsieur le Ministre,
Interdire au nom de la majorité revient à dire qu’une minorité n’a aucun droit et ne peut aucunement exercer sa liberté ?
Quelles sont, d’après vous, les obligations de l’Etat envers les minorités ?
N’ayant pas dans notre législation une obligation de déclarer son appartenance religieuse, ni sur le degré de respect de chaque citoyen des préceptes de sa propre religion? Il est pour le moins abusif de déclarer que 99% à 98% des Tunisiens sont musulmans (sous entendus observent le jeûne)
En quoi un café ouvert au mois de ramadan peut-il être source d’insécurité pour le pays, et/ou porter atteinte à la croyance des jeûneurs? Et en quoi un simple rassemblement pacifique de revendication mettrait-il en péril la sécurité de l’état?
À vous entendre, monsieur le ministre de l’Intérieur, on ne peut que se poser des questions.
D’une part, quant à la confusion que vous entretenez, volontairement ou pas, sur votre rôle et vos missions; et d’autre part relativement au raisonnement que vous nous livrez pour expliquer vos décisions.
Ministre de l’Intérieur, vous êtes sans aucun doute en charge de la protection de l’ordre public mais plus encore des droits et des libertés de toutes les citoyennes et tous les citoyens. Et même réfléchir en majorité/minorité par rapport aux libertés vous impose la protection des minorités par rapport à la majorité dans l’exercice de leur droit et liberté et non pas comme vous semble le penser, la soumission de la minorité à la majorité.
Imposer, comme vous le faites, une règle au nom de la «majorité», c’est dépasser votre domaine de compétence, c’est légiférer, or vous n’êtes pas législateur et seule l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) a cette compétence.
Inutile de vous rappeler, monsieur le ministre de l’Intérieur, que la circulaire de 1981 à laquelle vous semblez vous référer est tout simplement inconstitutionnelle au regard de la nouvelle constitution et notamment ses articles 6 et 21.
Par ailleurs, vous avez invoqué la sécurité du pays pour interdire un rassemblement pacifique et l’on est en droit de vous demander qui menace la sécurité du pays? En quoi un rassemblement de non-jeûneurs constitue-t-il une menace?
Si vous craignez des réactions d’intolérance que la présence de non-jeûneurs pourrait provoquer et qui iraient jusqu’à constituer une menace pour la sécurité du pays, nous sommes en droit de vous demander, monsieur le ministre de l’Intérieur, ne cédez-vous pas là à la menace; ne faites-vous pas le jeu des extrémistes?
Depuis toujours, nous avons en Tunisie des citoyens jeûneurs et non-jeûneurs, des familles composées de jeûneurs et non-jeûneurs, qui vivent ensemble et cohabitent pacifiquement et dans la tolérance. La nouvelle constitution garantit à la fois la liberté de conscience et l’égalité des citoyens. Seule une ultra minorité d’islamistes radicaux veut imposer à la société tunisienne son point de vue. N’êtes-vous pas, monsieur le ministre de l’Intérieur en train de céder à ce radicalisme et son dictat ?
Vos décisions de fermeture et de refus d’autoriser un rassemblement, et plus encore les agissements des forces de l’ordre (harcèlement de non-jeûneurs dans certains cafés) bafouent deux libertés fondamentales : une liberté individuelle : la liberté de culte et la liberté de conscience) et une liberté collective celle de manifester.
Maintenir ces décisions c’est donner raison à des corpuscules qui pratiquent leur terrorisme intellectuel sur la société tunisienne.
Je vous prie d’agréer, monsieur le ministre, mes salutations républicaines.
* Constituante.
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