Le vote de confiance accordé samedi soir, 28 juillet 2018, par l’Assemblée des représentants du peuple (ARP), à Hichem Fourati, nommé mardi dernier ministre de l’Intérieur, constituera-t-il un tournant politique pour le gouvernement Youssef Chahed ? Décryptage…
Par Ridha Kéfi
D’abord, on s’attendait à un vote serré, à un succès ou un échec par quelques voix d’écart et, durant toute la journée, les deux camps comptaient les voix et craignaient que le vote ne balance dans un sens ou dans un autre. Finalement, la confiance a été votée à M. Fourati par une confortable majorité : 148 pour, et seulement 8 abstentions et 13 contre, pour un nombre total de voix exprimées de 169.
Le candidat de M. Chahed est donc passé haut la main. Comment expliquer ce succès inespéré quelques heures avant le vote. Qu’est-ce qui s’est passé entre-temps et qui a poussé un nombre de députés à abandonner leur attitude nihiliste et destructrice et à penser, enfin, à l’intérêt supérieur du pays, qui a besoin de stabilité politique pour conforter la reprise économique réelle que l’on observe depuis quelques mois ?
Echapper à l’emprise des lobbies traditionnels
La première explication réside dans la personnalité et le profil de M. Fourati, qui ont finalement imposé le respect. C’est un énarque, indépendant, sans parti-pris idéologique ni obédience politique connue ni encore aucune appartenance à quelque lobby d’intérêt, régional ou autre. On a raconté de nombreux mensonges à son égard pour le discréditer aux yeux des Tunisiens, mais ces mensonges sont finalement tombés comme un château de cartes.
L’homme, qui n’est ni un magouilleur politique ni un flic de carrière, mais un commis de l’Etat, connaissant les rouages de l’administration publique et, surtout, le ministère de l’Intérieur où il a fait l’essentiel de sa carrière, tient plus de Hedi Majdoub, un énarque comme lui, discret et efficace, injustement limogé à l’instigation du président de la République, Béji Caïd Essebsi, que l’islamiste Ali Larayedh ou le superflic Lotfi Brahem, plus soucieux de plaire aux partis et aux lobbies que de servir les intérêts supérieurs du pays.
M. Chahed a donc fait le bon choix en optant pour le meilleur profil possible pour mettre le ministère de l’Intérieur à l’abri des tiraillements politiques et des influences des lobbies traditionnels, qui ont toujours magouillé, même du temps de Ben Ali, pour avoir leurs hommes de main au sein de la bâtisse grise de l’Avenue Bourguiba, véritable boîte noire de la République.
Le vote de confiance à Hichem Fourati est donc aussi, en quelque sorte, un vote de confiance à Youssef Chahed, même si ce dernier a eu droit, à l’occasion de ce vote, à des critiques acerbes, parfois justifiées mais souvent outrancières, excessives et donc forcément insignifiantes.
Certes, le bilan des deux ans qu’il a passés à la tête du gouvernement d’union nationale est pour le moins mitigé, surtout sur le plan économique, dont les indicateurs sont presque tous dans le rouge (hausse du déficit budgétaire, de l’endettement, de l’inflation, du déficit commercial, etc.) Mais force est d’admettre que les signes de reprise sont réels et que, grâce à son entregent et à la confiance que son action réformatrice inspire aux bailleurs de fonds internationaux, ces derniers n’ont jamais abandonné la Tunisie et ont toujours répondu présents pour l’aider à sortir de la crise.
Un bilan dont nous assumons tous la responsabilité
Force est aussi de reconnaître que la responsabilité de ce bilan mitigé n’incombe pas seulement à M. Chahed, mais à tous les acteurs politiques, et notamment aux partis et à leurs représentants à l’Assemblée, qui ont multiplié les manœuvres visant à entraver le travail du gouvernement et à l’empêcher de mettre en route les réformes nécessaires. M. Chahed n’a même pas été aidé par sa propre famille politique, Nidaa Tounes, qui a rarement défendu ses choix et ses décisions, mais a plutôt cherché à les combattre.
On a rarement entendu des députés critiquer les abus et les excès des manifestants qui coupaient les routes, paralysaient les usines et stoppaient la machine de production, à El Kamour, à Kebili, à Kerkennah, dans le bassin minier de Gafsa, et partout ailleurs. On ne les a pas vus non plus œuvrer à calmer les esprits et rappeler les gens à la raison.
Ces chers députés, dont certains éprouvaient une jouissance perverse, hier, à énumérer les échecs du gouvernement, ont souvent été des pyromanes qui attisaient les colères et ajoutaient de l’huile sur le feu, ne s’émouvant même pas de voir des usines fermer et des investisseurs étrangers mettre la clé sous le paillasson et fuir un pays dont le gouvernement est pratiquement considéré comme l’ennemi à abattre.
Que dire aussi d’un président de la république qui, au lieu de rappeler à l’ordre son fils, bombardé secrétaire exécutif de Nidaa Tounes, le parti censé être au pouvoir, l’encourageait plutôt à attaquer le gouvernement et à entraver son travail ? Ne l’a-t-on pas vu lui-même attaquer le chef du gouvernement dans une chaîne de télévision hors-la-loi, Nessma, dont le patron, Nabil Karoui est un évadé fiscal notoire poursuivi par la justice dans des affaires de corruption et de blanchiment d’argent, portant ainsi un coup à l’autorité et au prestige de l’Etat ?
On n’a jamais entendu M. Caïd Essebsi prendre la parole pour calmer la colère des Tunisiens, les rassurer, leur expliquer que seul l’ordre, le travail, la discipline et la productivité peuvent aider le pays à sortir de la crise et à retrouver le chemin de la prospérité partagée. Ce qui est, en somme, le rôle d’un chef d’Etat digne de ce nom. Non, on l’a vu, plutôt, s’associer à l’Union générale tunisienne du travail (UGTT) pour la remonter contre le gouvernement et tenter d’entraver son travail.
N’a-t-il pas cherché, également, et tout aussi pernicieusement, dans le cadre du fameux Accord de Carthage, un gadget inutile ou plutôt une tromperie, à remonter les partis politiques et les organisations nationales contre le gouvernement et son chef, parce que M Caïd Essebsi père a promis d’avoir la peau de Youssef Chahed pour servir les caprices de Caïd Essebsi fils et ses ambitions politiques démesurées ?
La guéguerre contre Chahed est loin d’être terminée
Pour revenir au vote de confiance en faveur du nouveau ministre de l’Intérieur, disons qu’il ne doit pas tromper les analystes.
Non, les adversaires de M. Chahed au sein de son propre parti n’ont pas abdiqué. Si beaucoup d’entre eux, sentant le vent tourner, ont fini, la mort dans l’âme, par accepter ce qui est, au final, une défaite, cela ne signifie nullement qu’ils vont rentrer dans les rangs et laisser l’Etat reprendre son fonctionnement normal. Et pour cause : ce vote est un camouflet pour la bande à Caïd Essebsi qui, n’en doutons pas, reviendra bientôt à la charge avec d’autres manœuvres et d’autres magouilles, adossée aux lobbies habituels, et notamment ceux de la corruption qui n’ont jamais baissé les bras.
Youssef Chahed aura toujours contre lui les lobbyistes et trafiquants d’influence, les barons de la corruption, les chefs des réseaux de la contrebande, les évadés fiscaux et autres «affairistes véreux» traînant des casseroles et des ardoises dans les banques… En d’autres termes, ses difficultés se poursuivront, car les malfrats de la république, qui veulent un Etat sur mesure, à leur service voire à leurs pieds, n’ont pas encore été mis hors état de nuire. Le chemin est long, mais la voie est désormais clairement définie. Tant que ces malfrats n’ont pas été mis hors état de nuire, la Tunisie ne sortira pas la tête de l’eau…
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