Aux responsables qui projettent de privatiser certaines entreprises publiques, il convient de rappeler gentiment qu’une vache à lait frappée de salmonellose demeure invendable tant qu’elle n’est pas convenablement soignée, à moins qu’on décide de la vendre à la casse.
Par Mohamed Chawki Abid *
Le gouvernement Youssef Chahed semble être décidé à exécuter les consignes du FMI en matière de cession d’actifs. À ce titre, un certain nombre d’entreprises publiques a été identifié pour en planifier la privatisation. Le pouvoir exécutif pense que s’il privatisait ces entreprises, plusieurs avantages seront recueillis notamment l’allègement du fardeau des subventions injectées dans les établissements en difficulté; l’évitement de l’affrontement avec le personnel, de plus en plus revendiquant et de moins en moins productif; le perfectionnement économique et rééquilibrage financier et, last but not least, la garantie d’une solvabilité avec l’administration fiscale et les caisses sociales.
Une privatisation doit viable économiquement et rentable financièrement
Cependant, la privatisation d’une entreprise publique n’est intéressante que lorsqu’au moins les conditions suivantes sont réunies : l’affaire viable économiquement et rentable financièrement; l’entreprise opérant dans un secteur concurrentiel; sa valorisation permettant de rapporter une enveloppe consistante au trésor public ; sa cession subordonnée à la mise en œuvre d’un plan développement ; sa vente non-accompagnée par un plan social sévère et brutal et le bilan en devises de l’opération positif sur le long terme.
En outre, la privatisation d’une entreprise publique ne doit pas être motivée par ses contre-performances structurelles, ou ses pertes cumulées l’exposant au risque de faillite, ou les préjudices causés par la montée des revendications syndicales.
Dans l’une ou l’autre de ces circonstances, une privatisation précipitée et irréfléchie sera dramatique, dans la mesure où elle s’inscrira dans le cadre d’un projet de vente à la casse.
La cession d’une entreprise ne doit pas être assimilée à une liquidation
En effet, si la valorisation de l’entreprise publique se fait dans les circonstances organisationnelles défavorables, ou dans une atmosphère social contaminée par le sabotage syndical, ou dans une période marquée par du laxisme gouvernemental, la cession sera assimilée à une liquidation, ne pouvant générer que des miettes aux caisses de l’Etat.
Ainsi, sans assainissement, sans restructuration, sans diagonalisation, et sans galvanisation, la vente sera inféconde.
En revanche, avant d’envisager la privatisation d’une entreprise publique, des préalables minimalistes sont requis, dont notamment un audit global pour identifier les carences procédurales et les lacunes de gestion; un diagnostic stratégique (SWOT analysis) pour identifier les faiblesses et les menaces; une restructuration du plan d’affaires, axée sur un ajustement du busines selon le marché; un assainissement financier, à la faveur d’opérations de consolidation en haut-de-bilan; une réorganisation des structures fonctionnelles, opérationnelles et managériales de l’entreprise.
Déjà, la première action est généralement riche en enseignements, devant justifier la genèse et les causes des difficultés dans lesquelles l’entreprise se bat. Certes, on recense des causes exogènes, mais la plupart sont généralement endogènes à l’entreprise : retard d’investissement, non-conformité des livrables, actes de malversation, etc. Tous les dysfonctionnements identifiés et les carences inventoriées relèvent de la responsabilité du management de l’entreprise.
La «mauvaise gestion» doit être sévèrement sanctionnée
Alors pourquoi chez le privé la «mauvaise gestion» est sévèrement sanctionnée, tandis que chez le public elle est tolérée quand elle n’est pas protégée?
Si les trois rapports de «full audit» relatifs aux banques publiques (BNA/STB/BH) étaient adressés à l’appareil judiciaire, des responsables auraient été placés en taule et de bons enseignements auraient été tirés.
Il en est de même pour les divers rapports de la Cour des comptes traitant des principales entreprises publiques (énergie, transport, santé, éducation, industrie, téléphonie, etc.), s’ils étaient adressés à une justice intègre pour suite à donner, ces entreprises auraient enregistré une inflexion dans la qualité de gestion et surtout dans la bonne gouvernance et dans les performances.
En outre, il y a lieu de rappeler que toutes ces entreprises publiques boiteuses étaient viables économiquement bénéficiaires financièrement, quand le pays fut gouverné par des Hommes responsables, honnêtes, patriotes, persévérants et combatifs.
Il apparaît clairement que le premier responsable du malaise des entreprises publiques réside dans sa gouvernance.
Aussi, ne serait-il pas grand temps que l’État mette un terme à son laxisme désastreux?
Enfin, il faudrait rappeler gentiment à nos princes qu’une vache à lait frappée de salmonellose demeure invendable tant qu’elle n’est pas convenablement soignée, à moins qu’on décide de la vendre à la casse.
* Ingénieur économiste.
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