L’Iran utilise Dubaï pour transférer l’argent au Hezbollah

Avec la perte du contrôle de l’aéroport international de Beyrouth puis la chute du régime de Bachar al-Assad en Syrie, le Hezbollah a perdu la voie aérienne et la voie terrestre d’où entraient les valises d’argent. De plus, le gouvernement libanais a interdit les vols directs depuis Téhéran et la Banque centrale libanaise a interdit les transactions avec Al-Qard Al-Hassan considéré comme la banque du Hezbollah. Avec toutes ces contraintes, tout le monde croyait le mouvement chiite libanais étranglé financièrement mais il n’en est rien. Une alternative a été trouvée et c’est… Dubaï, la principale place financière du Moyen-Orient devenue une plaque tournante des fonds illicites. 

Imed Bahri

Selon une enquête du Wall Street Journal, des fonds iraniens destinés à soutenir le Hezbollah au Liban transitent par Dubaï.

Les États-Unis s’inquiètent du recours par Téhéran à des bureaux de change à Dubaï pour renflouer et reconstruire son allié, affaibli par la guerre israélienne, indiquent les auteurs de l’enquête de Dov Lieber, Omar Abdel-Baqui et Summer Said, ajoutant que l’Iran a envoyé des centaines de millions de dollars à son allié libanais l’année dernière via des bureaux de change et d’autres entreprises à Dubaï, cherchant ainsi de nouveaux moyens de transférer des fonds.

Des voies alternatives pour transférer des fonds   

Le Hezbollah a un besoin urgent de ces fonds pour reconstituer ses rangs, se réarmer et couvrir les autres dépenses liées aux combats de l’année dernière avec Israël qui ont considérablement affaibli le groupe chiite libanais. Le Hezbollah est confronté à des restrictions d’accès aux fonds depuis la fermeture des frontières syriennes, suite à l’effondrement du régime de Bachar al-Assad et à la rupture des voies d’approvisionnement transitant par la Syrie.

Parallèlement, les autorités libanaises ont progressé dans la détection et la prévention des transferts financiers transitant par l’aéroport international de Beyrouth.

Face à des options limitées, l’Iran et le Hezbollah ont commencé à explorer des voies alternatives comme Dubaï, plaque tournante financière mondiale que l’Iran utilise depuis longtemps pour lever des fonds et contourner les sanctions, selon des sources proches du dossier, dont un haut responsable américain.

Les recettes des ventes de pétrole sont transférées vers des bureaux de change liés à l’Iran ainsi que vers des sociétés privées et des intérêts commerciaux à Dubaï, qui les transfèrent ensuite au Liban via le système de la hawala (réseau informel en dehors des circuits bancaires officiels de transfert de fonds d’un lieu à un autre par le biais de courtiers). L’argent est déposé auprès d’un intermédiaire à Dubaï, payé par un intermédiaire au Liban, et les deux intermédiaires procèdent ultérieurement au règlement des comptes.

Le WSJ cite un responsable émirati affirmant que les Émirats arabes unis sont déterminés à empêcher l’utilisation abusive de leur territoire à des fins de financement illicite et collaborent avec leurs partenaires internationaux pour perturber et dissuader de telles activités.

Les porte-parole du Hezbollah et celui du cabinet du Premier ministre libanais n’ont pas répondu aux demandes de commentaires du journal américain, pas plus que la mission iranienne auprès des Nations Unies.

Le journal citait David Schenker, directeur du programme de politique arabe au Washington Institute : «Le Hezbollah se concentre désormais sur la reconstruction et l’Iran ne renonce pas à son engagement envers son principal allié régional»

Début novembre, le département du Trésor américain a déclaré que la Force Al-Qods, unité d’élite du Corps des gardiens de la révolution islamique iranien responsable des opérations extérieures, avait transféré plus d’un milliard de dollars depuis janvier, principalement par le biais de bureaux de change. Le département a identifié trois membres du Hezbollah et leur a imposé des sanctions.

Le groupe chiite libanais a subi des pertes importantes au sein de sa direction et en ressources matérielles. L’offensive israélienne de deux mois a également dévasté des villages entiers du sud du Liban. Le Hezbollah s’est engagé à reconstruire les maisons détruites par la guerre, à verser des salaires aux familles des combattants tombés au combat ou blessés, à intensifier ses efforts de recrutement et à tenter de reconstituer son arsenal. Un an après le cessez-le-feu qui a mis fin aux combats les plus violents, le groupe peine toujours à subvenir à ses besoins financiers.

Hanin Ghaddar, chercheuse principale au Washington Institute, a déclaré : «Leur budget annuel s’élevait à un milliard de dollars mais après la guerre, leurs besoins ont augmenté»

Les Emirats, plaque tournante des fonds illicites

Le WSJ rapporte que les Émirats arabes unis sont devenus tristement célèbres pour leur rôle de plaque tournante des fonds illicites et ont été placés sur la liste grise du Groupe d’action financière (Gafi) en 2022 pour insuffisance de mesures de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. L’organisme international de surveillance a retiré le pays de cette liste deux ans plus tard, reconnaissant des progrès significatifs réalisés en matière de contrôle, même si certaines organisations anti-corruption ont estimé que des efforts supplémentaires étaient nécessaires. Un haut responsable américain a indiqué que les États-Unis s’inquiétaient des flux financiers destinés au Hezbollah via la Turquie et l’Irak.

John Hurley, sous-secrétaire au Trésor américain chargé du terrorisme et du renseignement financier, s’est rendu aux Émirats arabes unis et en Turquie avant son voyage au Liban au début du mois pour discuter de la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme en provenance d’Iran. L’accord de cessez-le-feu qui a mis fin à la guerre entre Israël et le Hezbollah exige du Liban qu’il sécurise ses points d’entrée et empêche l’acheminement d’armes vers des groupes armés non étatiques, principalement le Hezbollah.

Le Liban a pris des mesures, notamment l’interdiction des vols directs en provenance d’Iran et le renforcement des contrôles dans son aéroport et ses autres points d’entrée. Pour contourner ces contrôles renforcés, l’Iran envoie un plus grand nombre de voyageurs transportant moins d’argent liquide ou des bijoux qui ne nécessitent pas de déclaration et sont plus faciles à dissimuler, selon des responsables arabes.

Le journal ajoute que ce jeu du chat et de la souris visant à empêcher l’Iran de financer le Hezbollah souligne le défi auquel sont confrontés les États-Unis et Israël pour enrayer la résurgence d’un groupe profondément enraciné dans le tissu social libanais et source essentielle de puissance et de dissuasion pour la République islamique.

Des responsables arabes ont indiqué que le Hezbollah dispose également de ses propres sources de financement via des réseaux internationaux s’étendant jusqu’en Afrique de l’Ouest et en Amérique du Sud, impliqués dans le trafic de drogue, de diamants et des services tels que le blanchiment d’argent.

Un haut responsable américain a déclaré qu’au début du mois, les États-Unis avaient bloqué un projet du gouvernement libanais visant à verser des allocations d’invalidité aux personnes blessées lors de la guerre israélienne contre le Hezbollah l’année précédente. Ce même responsable a précisé que le Premier ministre libanais Nawaf Salam était revenu sur sa décision par la suite.

Un porte-parole du Premier ministre a affirmé n’avoir eu connaissance d’aucun contact entre les États-Unis et M. Salam à ce sujet et a ajouté que plusieurs demandeurs d’allocations d’invalidité au Liban ne remplissaient pas les conditions requises.

Les États-Unis ont également exigé la fermeture par le Liban de la principale institution financière du Hezbollah, Al-Qard Al-Hassan, une banque soumise à des sanctions américaines, créée dans les années 1980 et qui propose des services financiers, notamment des prêts et des distributeurs automatiques de billets, à de nombreux citoyens libanais.

Al-Qard Al-Hassan est une organisation caritative qui opère en dehors de l’autorité de la Banque centrale du Liban.

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