C’est au niveau de la bataille contre la corruption et de la fraude fiscale que l’on doit mesurer le sérieux et la crédibilité de l’actuel gouvernement.
Par Mohamed Chawki Abid*
Modérément volontariste, le projet de loi de finances pour 2016 est dans les starting-blocks du parlement.
1) Stratégie de lutte anti-fraude fiscale :
Depuis l’intronisation du gouvernement du quatuor en février 2015 (Nidaa, Ennahdha, UPL et Afek), la société civile n’a ménagé aucun effort pour sensibiliser le pouvoir exécutif sur l’urgence d’implémentation d’une réforme fiscale juste, équitable, efficace et fiable.
Aujourd’hui, il n’est plus à démontrer que la fraude fiscale est pratiquée essentiellement dans 4 segments de contribuables : les professions libérales (BNC), les activités forfaitaires (BIC), l’économie souterraine, et le secteur des industries extractives exportatrices.
Au lieu d’aller mendier chez les pays «amis» et les IBW, et de nous enliser dans l’endettement improductif (voire toxique), le gouvernement a revu sa stratégie en matière de collecte des ressources propres et de lutte anti-fraude fiscale, en vue de mieux financer le budget de l’Etat. Aussi, n’a-t-on pas souvent souligné que si l’Etat parvenait à recouvrer la moitié du volume des créances fiscales fuitées (environ 10 milliards de dinars), le déficit budgétaire serait épongé et le processus de désendettement serait enclenché.
A présent, le gouvernement Essid affiche une volonté de combattre toutes les formes de malversation (évasion fiscale, fraude douanière, fuite de capitaux, corruption…), en général, et surtout de faire évoluer le système fiscal vers l’équité contributive, en particulier.
La contribution fiscale est certes une obligation légale, mais dont la concrétisation demeure disparate selon la productivité des moyens de collecte et selon l’efficacité des dispositifs de contrôle mis en place par l’administration fiscale.
Le projet de loi de finances 2016 renferme des mesures qui satisferont les justiciers, en matière d’équité fiscale, de lutte contre l’enrichissement illicite et de lutte contre la contrebande. Afin de mettre un terme à la disparité de la pression fiscale, entre les contribuables fiscalement disciplinés (surimposés) et les contribuables fraudeurs (opérant dans l’opacité), la digitalisation du système fiscal devient à la fois urgente et indispensable. Dans un premier temps, il est proposé d’instituer l’obligation d’émission de notes d’honoraires dument numérotées (BNC à base forfaitaire), d’une part, et de la connexion des caisses enregistreuses des faux forfaitaires (gros BIC) aux serveurs des recettes des finances concernées, d’autre part.
Nous allons voir réellement si nous sommes bien dans un «Etat de droit et des institutions» comme consigné dans la nouvelle constitution (Destour), ou si nous sommes gouvernés par une mafia de malfaiteurs usant de l’argent sale pour asservir les 4 pouvoirs (exécutif, législatif, judiciaire et journalistique). L’enjeu principal consiste à contenir les manœuvres de sabotage et de chantage que pourraient exercer les puissants lobbies des médecins et des avocats, d’ailleurs fortement représentés à l’Assemblée des représentants du peuple (ARP).
Aussi ne faudrait-il pas être intransigeant dans l’application impartiale des nouvelles mesures après leur promulgation?
Le ministre des Finances Slim Chaker est réellement déterminé à lutter contre l’évasion fiscale?
2) Implémentation progressive de la réforme fiscale:
Le plus important ne consiste pas à annoncer de telles mesures salutaires, mais de pouvoir les légiférer et les appliquer comme elles se doivent.
Certes, les tentatives rétrospectives (années 70-80) de mise en place de «mécanismes de contrôle et de collecte» ont toutes échoué, s’agissant de dispositifs spécifiques à l’adresse de certains segments BNC connus pour leur forte implication dans la fraude fiscale, mais aussi pour leur proximité des points focaux de la dictature. En 1976 et en 1984, ces deux mafias (avocats et médecins) ont mis à profit leur relation privilégiée avec des leviers d’influence pour parvenir à infléchir la volonté politique et à radier les mesures spécifiques légiférées.
Pendant le règne de Ben Ali, il n’y a même pas eu de tentatives correctives à cette iniquité fiscale, dans la mesure où tout projet réglementaire devait recevoir l’aval préalable de la mafia de Carthage avant sa ratification par le parlement ou par tout autre organe compétent.
Quand bien même nous sommes aujourd’hui en régime démocratique et nous relevons d’un Etat de droit et des institutions, la «mafia des malfaiteurs» demeure encore puissante, forte des financements qu’elle consent aux «partis politiques au pouvoir» ainsi que des sucreries qu’elle octroie aux différentes hiérarchies de l’administration fiscale.
C’est à ce niveau que doit intervenir la société civile pour soutenir le gouvernement et les institutions de l’Etat dans la promulgation des lois justes, l’application des nouvelles dispositions fiscales et dans l’emploi des mesures dissuasives inhérentes. Son rôle consiste également à empêcher la mafia de récidiver dans ses manœuvres criminelles, tendant à manipuler les députés ou à exercer des pressions sur l’exécutif, ou encore à corrompre l’administration.
Au-delà des professions libérales dont le cadrage fiscal se fera concomitamment avec les fédérations professionnelles, les 400.000 forfaitaires seront segmentés en trois catégories selon le niveau de leurs revenus annuels:
– chiffre d’affaires en dessous de 10 kD (coiffeurs, cordonnier, plombier…) : contribution forfaitaire de 75 d/an ou 150 d/an selon l’implantation ;
– chiffre d’affaires compris entre 10 et 100 kD (petit commerce, épicier, menuisier…) : contribution proportionnelle = 3% du CA ;
– chiffre d’affaires au-delà de 100 kD : nécessaire conversion en régime réel.
3) Insuffisances du projet de loi:
Le projet de loi de finance 2016 renferme cependant moult lacunes et plusieurs irrégularités, nées de la recherche précipitée de solutions de bouchage de trous. Après avoir décliné la piste d’augmentation de TVA (de 12%-18% à 20%) en raison de son impact inflationniste évident, le gouvernement a renoncé à des mesures promises d’allègement de la pression fiscale sur les contribuables «disciplinés fiscalement» et «surimposés», tout en accordant un cadeau fiscal insensé aux moins-défavorisés:
1) maintenir biscornu le premier pallier du barème des IRPP (1500-5000 TND) ;
2) baisser le prix de l’essence de 20 millimes et celui du diesel de 50 millimes.
Visiblement, le gouvernement a préféré prendre une mesure populiste (prix à la pompe) qui profite très peu aux propriétaires de véhicules, et a refusé de régulariser une situation aberrante qui touche les salariés (les salaires moyens étant très sensibles).
Cette anomalie provient de la loi de finance complémentaire 2014. De par le principe fondamental de la continuité de l’Etat, le gouvernement Essid s’était engagé à la corriger par la loi de finance complémentaire 2015. Ne l’ayant pas fait, il se dégonfle de nouveau dans le cadre de la loi de finance complémentaire 2016. Ceci dénote d’un comportement irresponsable.
D’ailleurs cet exemple me renvoie sur le décret-loi de Foued Mebazaa relatif au code des changes, une autre absurdité déloyale.
C’est au niveau de la bataille anti-malversations en général et de la lutte anti-fraude fiscale en particulier que doit intervenir la société civile pour soutenir le gouvernement et les institutions de l’Etat dans la promulgation des lois justes, l’application des nouvelles dispositions fiscales et dans l’emploi des mesures dissuasives inhérentes. Son rôle consiste également à empêcher la mafia des malfaiteurs de récidiver dans ses manœuvres criminelles, tendant à manipuler les députés ou à exercer des pressions sur l’exécutif, ou encore à corrompre l’administration.
* Ingénieur économiste.
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