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Mohsen Marzouk : L’homme pressé… sous pression

Mohsen-Marzouk

Le secrétaire général de Nidaa Tounes ne maîtrise pas les structures de son parti, car domaine de compétence du fils Caïd Essebsi. Son destin est-il compromis?

Par Yassine Essid

N’est pas homme (ou femme) politique qui veut. Il faut pour cela des dispositions particulières acquises ou innées : une morale irréprochable ou bien une totale absence de scrupules. Il faut être un talentueux orateur, charismatique, jouissant d’une certaine légitimité historique, avoir une propension à servir autrui et le sens de l’intérêt général ainsi qu’une vision audacieuse pour l’avenir de la société et l’administration de l’Etat. Certains affichent cependant une intempérance effrénée à diriger avec le goût pour l’intrigue et la rivalité politicienne. Il est évident que dans ce domaine la modulation du temps et l’alternance de la continuité et des ruptures est essentielle. Aussi faut-il savoir éviter la précipitation en donnant du temps au temps. Le choix d’une telle voie est par nature périlleuse et implique, bon gré, mal gré, d’abandonner une partie de son indépendance de pensée ou de  renier ses convictions intimes. C’est ainsi que l’on succombe à la soif d’un  pouvoir qui asservirait totalement tout mortel qui en serait le possesseur.

L’ambition démesurée d’un fils spirituel

Mohsen Marzouk ne justifie d’aucun apprentissage relatif à la conduite de l’Etat, n’ayant connu ni revers, ni succès en politique, encore moins joui d’une réputation d’expert en questions stratégiques ou géopolitiques hormis son engagement opportun pour un président et accessoirement pour un parti.

Il ne s’agit donc pas de présenter un personnage hors normes, aux talents variés, mais un être qui suscite non pas l’admiration devant une séduction si consciente de ses moyens, mais plutôt l’inquiétude face à une ambition si démesurée au point d’inspirer la crainte plutôt que l’adhésion. Tout cela converge pour tracer le portrait d’une personnalité trouble, incapable de transmettre le sentiment que nous sommes en présence de quelqu’un capable d’acquérir dans le futur une stature politique d’envergure.

Cet ancien militant de gauche se retrouve un beau matin installé à demeure dans les rouages du pouvoir. Le voilà, du jour au lendemain, promu bras droit incontesté du président de la république en charge de tout, affirmé comme une valeur montante, appelé à servir son chef envers et contre tous sans craindre la compétition d’un quelconque prétendant. Je me souviens qu’au cours d’un entretien télévisée, l’animateur lui avait demandé s’il confirmait ce que l’on dit que Béji Caïd Essebsi le considère comme son fils spirituel et le dépositaire de ses  qualités naturelles de rassembleur. En guise de réponse et tout en retenant un petit rire satisfait, Marzouk écarta d’un revers de main ce qu’il entendait comme de pures élucubrations de journalistes en laissant toutefois planer un doute sur le bien-fondé d’une telle filiation.

Beji-Caid-Essebsi-et-Mohsen-Marzouk

Orné le 17 juin des insignes de grand officier de l’ordre de la République première classe.

Une promotion à double tranchant

Orné le 17 juin des insignes de grand officier de l’ordre de la République première classe, M. Marzouk quittera pourtant le palais pour aller à la conquête du parti, leurré par une distinction donnée à tout vent, de tout temps obtenue sans faits d’armes ni bravoure.

Un tel départ fut en réalité une promotion à double tranchant : elle lui permet, certes, de prendre en main le parti pour en devenir le maître incontesté, mais l’éloigne de l’entourage de son fondateur et surtout des luttes des clans, des âpres querelles de palais et des intrigues familiales. Mais, tout compte fait, ce départ n’est pas une si mauvaise affaire : Béji Caïd Essebsi se fait vieux, commence à brouiller le passé et le présent, radote un peu et présente un état de santé fragile.

Tout cela autorise des hypothèses nouvelles y compris la perspective d’être un recours futur pour les présidentielles face à ce qu’il appréhende comme une bataille des chefs contre d’autres candidats aussi coriaces que lui. Pour réaliser ses objectifs, il lui fallait mettre en place ses hommes, installer ses réseaux, cultiver son image d’homme d’Etat en cumulant les déplacements à l’étranger, multiplier de nouvelles stratégies, mettre tout le monde au pas et, le moment venu, s’imposer à son tour en leader incontesté de Nidaa Tounes et, pourquoi pas, en sauveur de la nation. Il commence alors par tout écarter sur son passage.

Mohsen-Marzouk-et-John-Kerry

A l’ombre du père spirituel…

Le rictus caressant d’un prédateur

Dans le dessein de réussir sa première prise de parole publique en tant que secrétaire général et en dépit des principes de convenances, il eut l’outrecuidance de parler en premier avant l’arrivée du président du parti tant est démesuré son besoin de s’affirmer. D’ailleurs, sur une photo que reprennent à tire-larigot presque tous les journaux, on ne peut s’empêcher de percevoir sur sa pauvre bouche le rictus caressant d’un prédateur. Elle montre en outre le visage plein de suffisance de celui qui semble connaitre et pouvoir faire tout. Son excès de précipitation, son empressement si épais, son impatience devenue chronique, avaient généré chez lui le despotisme des opinions et le besoin tenace de fonder son propre courant.

Mais c’était sans compter avec la ferme volonté du fils Caïd Essebsi, déterminé, au nom d’une filiation naturelle cette fois, à s’emparer du parti et ses rouages avec la bénédiction paternelle. La suite des événements relève aujourd’hui du fait divers. Elle révèle en outre les positions irréconciliables des partisans et des adversaires et leurs manœuvres odieuses qui déshonoreront à jamais un parti désormais aux abois. Chaque clan appelle ses sympathisants à se mobiliser, chaque groupe se prévaut d’être le dépositaire de l’enseignement d’un père-fondateur qui reste étrangement évasif, élude les difficultés et refuse de trancher dans le vif.

Quant au nouveau secrétaire général du parti de la majorité, qui ne maîtrise pas les structures de son organisation, car domaine de compétence du fils, le présent ne cesse de lui échapper et son destin compromis. Et dans ce contexte, le redressement du pays n’est vraiment plus sa priorité.

Le plus cocasse est que dans ce rassemblement chacun crie à la trahison. Mais trahison de quoi? Des objectifs du programme politique et des finalités de l’action du parti? Des résultats du travail du gouvernement dans un pays menacé au dehors, menacé au-dedans ? De la nécessité de faire face dans l’urgence à des situations extrêmes? Que nenni. Les divisions profondes qui déchirent aujourd’hui Nidaa Tounes démontrent que les véritables enjeux sont ailleurs. En tous cas fort éloignés de la nécessité d’agir pour le redressement du pays.

Ridha-Belhaj-Mohsen-Marzouk-Hafedh-Caïd-Essebsi

Ridha Belhaj, Mohsen Marzouk et Hafedh Caïd Essebsi: des vocations contrariées dans le marigot de Nidaa Tounes.

La dissolution morale gagne du terrain

On s’était longuement extasié sur la démocratie et ses bienfaits: la  liberté d’expression, la fin de l’arbitraire, le droit d’élire ses représentants en toute transparence, l’exercice d’une justice impartiale, sans prendre en compte que cela doit se transmettre à des valeurs essentielles aujourd’hui bel et bien compromises : le respect scrupuleux de la loi, l’éradication de la corruption et de la fraude, et le retour à l’exercice de l’autorité. Car le gouvernement représentatif, tel qu’on a prétendu l’établir par le vote, est devenu une fiction.

Au  moment même où l’ignoble peur si longtemps auxiliaire du système politique a disparu, la dissolution morale gagne du terrain, chacun se ruant sur l’appât qu’on lui présente

Employés et employeurs ignorent le chemin à prendre, syndicats et patronats ne cessent de trouver des raisons pour s’affronter. La probité citoyenne, la perte des valeurs de dignité humaine, le dévouement qu’inspire l’amour de la patrie sont remplacés par la cupidité, l’égoïsme, le travail accompli à moitié, la soif de richesses.

Aujourd’hui, Mohsen Marzouk sait qu’il ne pourra plus mener sereinement une bataille à laquelle il s’est mal préparé. Il sait aussi qu’il est entouré de girouettes qui évoluent constamment avec le temps, abandonnant nombres de leurs idéaux  pour mieux poursuivre leur carrière politique ou simplement survivre. Cet orateur sans talent finira par n’incarner plus rien.

Quoiqu’ils fassent ou pensent, les Tunisiens ne sont pas encore préparés pour l’exercice de la démocratie ni assez éclairés pour se permettre de coopérer au choix de leurs mandataires. La souveraineté populaire s’avère contraire à la raison: les gens sont encore trop ignorants, leurs représentants s’entredéchirent, la technostructure l’emporte sur le sens des réalités, le gouvernement baigne dans de puériles désillusions, et peu de ses membres dérivent d’un choix irréprochable ou d’une souveraineté inaliénable. Des deux côtés manque l’essentiel : le jugement qui permet de comprendre l’intérêt supérieur du pays et de s’en occuper avec intelligence. Ce n’est qu’alors que le Tunisiens pourront se targuer d’exercer vraiment la démocratie. Une déclamation devenue dénuée de sens et une fiction qui ne trompe plus personne. Dans un tel contexte, le chemin de la transition risque d’être encore long.

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