Les prévisions du professeur Moktar Lamari concernant les pertes de l’économie tunisienne en 2020 à cause de la crise induite par le coronavirus (Covid-19) sont excessivement élevées et ne tiennent pas compte des réalités de l’économie tunisienne.
Par Salma Zouari *
Dans article publié par Kapitalis le 6 avril intitulée : «Covid-19 Tunisie : 15 indicateurs d’impact économique», professeur Moktar Lamari avance divers indicateurs pour «jauger la fièvre économique liée au virus». Parmi ces indicateurs, il retient -à bon escient- le taux de croissance économique anticipé pour 2020. À cet effet, il prévoit une chute de -13% du PIB en 2020 et fonde cette prévision sur l’hypothèse d’un taux de démobilisation de la population active occupée de 70%.
Inutile de rappeler que tout exercice de prévision ne peut qu’être hypothétique. Il n’en reste pas moins nécessaire pour que les politiques publiques soient un tant soit peu éclairées.
De nombreuses activités n’ont pas été affectées
Toutefois, l’exercice de prévision ne peut pas être grossier et approximatif. Il doit se baser sur des données probantes et une connaissance fine de l’économie. Par ailleurs, comme on ne sait pas comment va évoluer la situation épidémiologique dans le monde et en Tunisie, que l’on ne peut pas anticiper les durées des restrictions de voyages (au niveau international et national) ni la durée des confinements…, on ne peut qu’envisager des scénarii.
À cet effet, je voudrais rappeler certains éléments qui montrent que l’on ne peut considérer qu’une part égale à 70% de l’activité économique est perdue pour chaque mois de confinement, comme le soutient implicitement Professeur Lamari, et par conséquent, on ne peut avancer que le PIB chutera de 13% en 2020.
Il est clair qu’en Tunisie, de nombreuses activités sont sinistrées du fait de la pandémie et subissent un choc de demande (tourisme et activités du cluster, industries insérées dans les chaînes de valeurs mondiales…). De plus, de nombreuses activités sont à l’arrêt du fait du confinement, ce qui engendre nécessairement pour le pays un choc d’offre.
Toutefois, faut-il constater que, malgré les mesures de lutte contre la pandémie dont le confinement, plusieurs secteurs restent épargnés.
Dans la fonction publique, tous les fonctionnaires continuent à percevoir leurs salaires même s’ils sont confinés, il en est de même pour les salariés des entreprises publiques (faut-il compter les salaires distribués comme une mesure de soutien à l’économie au même titre que l’indemnisation du chômage technique dans le secteur privé ?). En 2019, les services non marchands ont représenté 19,2% du PIB en 2019.
L’agriculture (10,5% du PIB) continue à approvisionner l’économie en produits frais…
Les industries agro-agroalimentaires (3,1% du PIB) n’ont jamais été autant sollicitées qu’en période de confinement.
L’industrie textile (2,5% du PIB) et plusieurs autres secteurs manufacturiers connaissent des redéploiements de leurs activités et innovent pour répondre aux besoins liés à la pandémie.
Certaines activités relevant des industries non manufacturières (énergie, électricité, eau…) assurent pleinement leurs missions (2% du PIB en 2019).
Au niveau des services, le commerce (9,3% du PIB), les services financiers (4,8% du PIB), les services de la poste et des télécommunications (4,2% du PIB) sont globalement épargnés. D’autres services comme les transports terrestres connaîtront une récession de portée limitée.
Grosso modo 60% de l’activité économique reste assurée
Au total, on peut considérer que malgré le confinement, approximativement 60% de l’activité économique reste assurée. Quelle est l’ampleur du choc que connaîtront les diverses autres activités, seule une étude fine pourrait nous éclairer.
Quel sera l’impact de la crise économique sur l’année 2020 et au-delà ? Cela dépendra de plusieurs facteurs dont, notamment, les mesures de soutien qu’apporteront les pouvoirs publics aux entreprises pendant la pandémie et les mesures de relance qu’ils mettront en œuvre après la pandémie.
D’ores et déjà, un modeste effort d’estimation de l’impact de la pandémie sur l’économie nationale me permet d’avancer que l’impact de la crise sanitaire sur l’économie risque d’être grave mais, fort heureusement, il se situerait dans un intervalle inférieur à ce que Professeur Lamari avance, à moins que la crise sanitaire ne dure davantage ou que, après avoir été maîtrisée, elle ne donne lieu à d’autres vagues.
Entre temps, il faut espérer d’une part que la société dans son ensemble fasse preuve de solidarité et de compassion et d’autre part, que l’on puisse compter sur la patience des personnes, sur leur discipline et sur la capacité de la société civile à contribuer positivement à la gestion de la crise. Les pouvoirs publics doivent, bien entendu, mobiliser de façon efficace tous les moyens pour gagner cette guerre.
* Professeur des universités en sciences économiques, Tunisie.
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