L’homme d’affaires Marouane Mabrouk, gendre de l’ancien président Zine El Abidine Ben Ali (ex-époux de sa fille Cyrine) qui se trouve au cœur d’un interminable et très compliqué méli-mélo judiciaire, a rompu le silence hier soir, lundi 15 juin 2020, sur la chaîne Carthage + en intervenant en direct par téléphone mettant fin ainsi à dix longues années de silence.
Par Imed Bahri
Il était temps de l’entendre et par ricochet, d’entendre l’autre son de cloche. Le nom de l’homme d’affaires, héritier avec ses frères Mohamed Ali et Ismaïl du groupe Mabrouk, qu’ils ont hérité de leur père Ali, qu’ils ont diversifié et dont ils ont fait l’un des plus importants conglomérats du pays durant les années Ben Ali, est sur toutes les lèvres. À l’Assemblée, dans les médias et sur les réseaux sociaux.
Une seule «vérité» a régné jusque-là, celle des accusateurs
Au lendemain du 14 janvier 2011, les biens de M. Mabrouk, à l’instar de tous les proches de Zine el Abidine Ben Ali, ont été confisqués et leurs avoirs à l’étranger furent gelés. Sauf que depuis, la part de M. Mabrouk dans Orange Tunisie ne l’est plus et ses biens dans l’Union européenne ne sont plus gelés.
L’ONG I Watch, le parti Attayar et son ministre des Domaine de l’Etat et des Affaires foncières, Ghazi Chaouachi, ayant la tutelle du dossier des biens confisqués, ainsi qu’une grande partie de l’opinion publique crient au traitement de faveur. Et jusque-là, il n’y avait que cette version qu’on entendait et qui, à force d’être répétée, devenait «une vérité».
Déjà au lendemain de la levée du gel des avoirs de M. Mabrouk en Europe, le 28 janvier 2019, l’ONG I Watch et Samia Abbou, députée Attayar, avaient estimé que l’homme d’affaires a bénéficié d’un traitement de faveur et d’une intervention en sa faveur de la part du chef du gouvernement de l’époque Youssef Chahed. Mme Abbou avait fait à l’époque une tonitruante intervention lors d’une séance plénière de l’Assemblée pour attaquer M. Mabrouk et le chef du gouvernement. Également, les mêmes parties estiment que son retour à Orange est aussi un traitement de faveur. Dernier épisode, Ghazi Chaouachi, dans une récente réunion de commission parlementaire, accuse M. Mabrouk d’avoir un réseau tentaculaire lui permettant de contourner la confiscation et le gel des avoirs.
Déjà que le feuilleton judiciaire est interminable, complexe et compliqué (comprenant plusieurs volets dont certains relèvent de l’ordre juridictionnel judiciaire et d’autres de l’ordre juridictionnel administratif), que M. Mabrouk était le gendre de l’ancien président Ben Ali, qu’il co-dirige un des plus grands conglomérats du pays et qu’il se taise pendant dix ans, tous ces facteurs ont fait que la version de la partie adverse a été élevé au rang de «vérité». Et le tribunal médiatique et de Facebook n’a fait qu’affirmer cette «vérité».
Un autre son de cloche
Le son de cloche de M. Mabrouk, nous ne l’avons entendu qu’hier. Il a avant tout insisté sur l’importance de distinguer et de ne pas faire l’amalgame entre la question des litiges judiciaires qu’il a en Tunisie d’une part et la question du dégel de ses avoirs en Europe. Il aura affirmé que pour son retour à Orange, il y a eu un sursis de l’exécution de la décision de confiscation de sa part dans la société Investec prononcée par le Tribunal administratif, ce qui lui a permis en tant que principal actionnaire de diriger à nouveau Orange.
Concernant le dégel de ses avoirs par l’Union européenne, il a expliqué qu’elle a été décidée sur la base d’enquêtes sur sa personne et ses activités et que la décision du Tribunal administratif a servi de base juridique à cette décision.
Enfin, il a nié avoir mis à la porte les représentants de l’Etat dans aucun conseil d’administration, il a estimé par contre qu’ils voulaient prendre la direction d’Orange ce qu’il considère comme sans fondement vu que la confiscation de ses parts n’est plus d’actualité avec la décision du Tribunal administratif.
Finalement, M. Mabrouk a rompu son silence et a essayé de déployer son argumentaire rationnel et cohérent, ses épreuves avec la Justice ont fait qu’il en a appris tout le jargon mais rompre le silence après dix ans par téléphone et avec un plateau comprenant six invités et un septième par Skype (tous à charge) n’est pas efficace et n’a pas permis de mettre les points sur les i.
Il fallait que ce soit une interview en tête à tête avec un journaliste qui prépare bien les questions et apporte la contradiction mais hier soir c’était bâclé. M. Mabrouk a essayé de faire entendre sa voix et sa version mais pour un tel méli-mélo judiciaire, 40 minutes avec sept autres invités, ce n’était sûrement pas le format idéal pour rompre ce silence en plus par téléphone. Mais on eu, tout de même, droit à un autre son de cloche…
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