Dans le système politique bâtard mis en place par Ennahdha, Elyes Fakhfakh présente désormais le profil idéal du chef de gouvernement : complètement isolé, sans aucun appui partisan, impopulaire, soumis aux désidératas de tous, heureux de pouvoir continuer à inaugurer les chrysanthèmes, à pontifier dans les tribunes et à serrer les mains lors des cérémonies officielles, en cherchant à retarder au maximum une destitution toujours imminente.
Par Ridha Kéfi
D’abord, pourquoi cette question mise en titre de cet article ? Et bien parce que normalement, dans une vraie démocratie et non pas dans une démocratie d’opérette comme celle en place en Tunisie, un chef de gouvernement pris en faute dans une affaire de conflit d’intérêts doit normalement démissionner, car il a perdu toute crédibilité aux yeux de tous ses compatriotes et ne peut plus vraiment exercer son autorité, si tant est qu’il lui en reste.
Fakhfakh n’est pas du genre à reconnaître ses erreurs
Or, dans le cas d’Elyès Fakhfakh, il est très peu probable qu’il se résigne à démissionner trois mois après avoir pris ses fonctions. Pour diverses raisons. D’abord, l’homme est têtu, avec un ego surdimensionné et une haute idée de lui-même, et il n’est pas du genre à reconnaître ses erreurs, à s’excuser, à faire amende honorable ou à s’incliner devant l’évidence que sa place au Palais de la Kasbah est devenue un handicap pour le gouvernement qu’il est censé incarner, pour le président de la république, Kaïs Saïed, qui lui a donné sa confiance, ainsi que pour l’Assemblée qui l’a lui a votée et pour l’Etat tunisien en général. Car un Premier ministre dont l’image a été écornée aura moins d’autorité à faire prévaloir et il devient à la merci de toutes les pressions.
Par ailleurs, depuis la révélation de Fakhfakh Gate, les partis qui faisaient pression sur le chef du gouvernement pour le contraindre à élargir sa coalition gouvernementale, à savoir Ennahdha, Al-Karama et Qalb Tounes, se montrent plutôt compréhensifs voire complaisants à son égard. Et pour cause : ils ne craignent plus que cet homme, jusque-là rigide et droit dans ses bottes, leur sorte quelques dossiers pourris. Ils le tiennent désormais en laisse. Il est même à leur merci et ils peuvent lui faire faire tout ce qu’ils veulent.
Souvenons-nous de ce qui s’est passé avec son prédécesseur Youssef Chahed : lorsque ce dernier a été affaibli par l’abandon de son parti, Nidaa Tounes, et les attaques frontales de son «bienfaiteur», le président de la république Béji Caïd Essebsi, allant jusqu’à exiger sa démission, c’est Ennahdha qui est venu à son secours au nom de la stabilité gouvernementale prenant ainsi le risque de s’aliéner ses principaux alliés : Nidaa Tounes et Caïd Essebsi.
Un chef de gouvernement en sursis et sans réel pouvoir
De la même manière, Fakhfakh, affaibli et aux prises avec une situation socio-économique explosive, a toutes les chances de rester en place. C’est lui qui aura la lourde tâche de tirer les marrons du feu. Il n’opposera aucune résistance et se montrera très malléable sinon soumis et servile. Il fera aussi un bon punching-ball pour toutes les parties qui se défausseront sur lui. Et le jour j, on lui fera porter le chapeau de tout ce qui n’a pas marché. Un souffre-douleur en somme, et un fusible idéal qui assumera les conséquences de l’incompétence générale : celles des partis, des ministres, des députés, etc.
Dans le système politique mis en place par Ennahdha, Elyes Fakhfakh présente désormais le profil idéal du chef de gouvernement : complètement isolé, sans aucun appui partisan, impopulaire, soumis aux désidératas de tous, heureux de pouvoir continuer à inaugurer les chrysanthèmes, à pontifier dans les tribunes, à serrer les mains lors des cérémonies officielles et à scruter les moindres faits et gestes de ses proches collaborateurs, car le moindre signe de relâchement de leur part signifierait sa… disgrâce, dont il serait le dernier à être informé.
Triste destin en perspective pour cet homme qui était crédité de 0,34% des suffrages exprimés au premier tour des dernières présidentielles et qui, malgré ce cuisant échec électoral, a accepté de présider un gouvernement sur lequel il sait qu’il n’aura qu’une autorité toute théorique, ses ministres n’étant redevables, les uns et les autres, qu’à leurs partis respectifs. L’égocentrisme, on le sait, est un mauvais conseiller…
Donnez votre avis