En Italie, l’une des principales conséquences de la pandémie de la Covid-19 a été l’émergence de nouvelles délocalisations inattendues et de changements dans le logement des individus et des familles. Ces mouvements parlent de la recherche de nouvelles formes de protection dans une période de profonde incertitude et de précarité, de retour aux origines, mais aussi d’inégalités sociales.
Par Renata Pepicelli *
Il n’y a pas encore de données, mais les histoires de ceux qui, en Italie, ont décidé de déménager, de changer de maison et de ville en cette période de pandémie commencent à se multiplier. Certains retournent sur les lieux de leur famille d’origine, d’autres s’installent dans des villes plus petites, loin du chaos des grandes villes.
Certains vont à la recherche de maisons plus grandes, multifonctionnelles, avec des espaces extérieurs, où ils peuvent expérimenter de nouvelles formes de relation avec l’environnement et avec les personnes. Les autres se contentent de locations moins élevés, éventuellement en vue d’en partager l’habitat avec la famille ou des amis, et de chercher des formes de vie qui semblent offrir une plus grande protection contre l’incertitude des temps à venir.
La Covid-19 bouleverse les choix de vie de nombreux Italiens
Pour beaucoup, sinon pour tous, la délocalisation représente une décision soudaine, ou du moins fortement accélérée par rapport aux projets à long terme. C’est la contagion de la Covid-19 qui a agi comme un détonateur, qui a produit des choix inattendus et des changements soudains dans la vie. Bien qu’apparemment beaucoup de personnes semblent vivre durant ces semaines comme si l’épidémie de la Covid-19 n’existait plus ou n’a jamais existé de manière visible. En tous cas, des changements profonds apparaissent dans les habitudes de plusieurs Italiens, le résultat de bouleversements matériels et symboliques provoqués par la pandémie.
Sujet imprévu, le virus a dispersé les cartes, réécrit les géographies mentales et sociales, affectant de manière significative la vie de nombreuses personnes. En Italie, et en particulier dans certaines régions du nord, l’impact de la pandémie a été très fort.
À ce jour, 246.000 personnes ont été infectées depuis le début de l’année, tandis que le nombre de décès a dépassé 35.000. Et on ne peut pas dire que l’épidémie soit terminée. Bien qu’elle soit contrôlée, il y a encore des cas quotidiens de nouveaux patients et des décès, et on craint une grave recrudescence des cas de contagion à l’automne. Les effets de cette situation ont engendré de nombreuses peurs et blessures profondes qui hantent la vie quotidienne, les habitudes et les pratiques, et qui conduisent à des transformations importantes, dont l’ampleur et la profondeur ne sont pas encore comprises.
Le foyer est devenu un espace central dans la vie des individus
L’enfermement, les préoccupations économiques et un sentiment plus général de solitude et de fragilité existentielle poussent les gens vers de nouvelles définitions de soi, de nouveaux mouvements, de nouvelles reconfigurations sociales et spatiales. Dans ces changements, la transformation du rapport au logement qui a eu lieu ces derniers mois a un grand impact.
Pendant les phases aiguës de la pandémie, le monde s’est limité à la maison. Le foyer est devenu un espace central dans la vie des individus : protection, abri, mais aussi lieu de discrimination exacerbée, de violence, de solitude. Le domicile n’est plus seulement un espace de vie, mais aussi de travail, d’études, de loisirs (pour ceux qui peuvent se le permettre). La maison est devenue le monde. Le monde s’est réduit aux mètres carrés de la maison, quelle que soit sa dimension.
Le sociologue Stefano Laffi parle de l’affirmation du «théorème de la maison-monde» qui montre les limites de la centralité de la maison privée au détriment du partage de l’espace public. «Lorsque nous courons dans un parc, que nous faisons une excursion à la rivière, que nous chantons à un concert, que nous nageons dans la mer ou que nous nous asseyons sur un banc de la place, nous sommes tous plus ou moins les mêmes, plus ou moins impliqués, tandis que les maisons, les voitures, les bateaux, reproduisant l’échelle sociale, sont les éléments distinctifs du pouvoir et de l’argent accumulé».
Dans la pandémie, les inégalités sociales fortement représentées dans les inégalités de logement sont devenues plus évidentes que jamais et ont montré les profondes différences sociales et économiques qui existent dans le pays.
La Covid-19 n’a pas été un égalisateur social, comme on veut le faire croire
Des maisons de quelques mètres carrés, insalubres, surpeuplées, difficilement entretenues grâce à des revenus faibles et précaires, et de grandes maisons avec des espaces extérieurs, des environnements intérieurs diversifiés selon différentes fonctions, caractérisés par un bien-être généralisé, de l’autre, ont mis à nu les inégalités dans un pays, l’Italie, où une personne sur quatre est menacée de pauvreté.
Selon les dernières enquêtes de l’Institut national des statistiques, en 2019, l’Italie comptera 1. 674.000 familles et 4.593.000 personnes en situation de pauvreté absolue, soit 7,7% de la population. La mise en quarantaine n’a pas été la même pour tout le monde. La Covid-19 n’a pas été un égalisateur social, comme voulait le faire croire un certain récit rassurant. Les victimes de l’épidémie n’étaient pas seulement «sanitaires», mais aussi sociales. Et ces derniers sont d’autant plus nombreux qu’ils occupent une place importante dans l’échelle des inégalités de classe. Plus l’échelle est basse, plus ils augmentent.
S’il est vrai que la maladie peut potentiellement toucher tout le monde sans discrimination, les outils pour faire face à la maladie et à la dimension pandémique dans laquelle nous sommes immergés sont différents.
Le fait de disposer ou non d’un espace de vie adéquat, ainsi que de revenus stables, a fait et fait encore une grande différence dans la manière dont nous traitons le confinement à la maison, l’enseignement à distance, mais aussi en ce qui concerne l’exposition à la contagion. Ce n’est pas un hasard si les récents foyers de contagion se sont développés dans des espaces précaires à forte densité de population, où il est difficile de respecter les mesures de distanciation sociale. C’est le cas, par exemple, des dortoirs de l’ancienne usine Cirio, dans la ville de Mondragone (province de Caserta, Italie du Sud), habités principalement par des travailleurs saisonniers de Bulgarie, où un nombre élevé de personnes infectées a été découvert à la fin du mois de juin.
Recherche de nouvelles formes de protection dans une période de profonde incertitude
L’explosion de la Covid-19 a donc montré la nouvelle centralité de la maison, la non-neutralité absolue des conditions de logement, imposant une redéfinition de la relation entre espace privé et public et des catégories de protection/stabilité.
C’est donc dans cette perspective que nous pouvons comprendre l’émergence de nouvelles délocalisations inattendues, de changements dans le logement que les individus et les familles font en Italie en ce moment. Ces mouvements parlent de la recherche de nouvelles formes de protection dans une période de profonde incertitude et de précarité, de retour aux origines, mais aussi d’inégalités sociales. Mais surtout, elles témoignent d’un traumatisme social généralisé qui commence seulement à se manifester avec plus de clarté, mais que nous ne pouvons toujours pas nommer. Les mots manquent, aussi bien individuels que collectifs. Il semble que le temps de la narration ne soit pas encore arrivé. Mais si les mots tardent à être identifiés, la transformation soudaine des chemins de vie, avec les changements de domicile et de vie, parle déjà d’un changement social et d’un traumatisme en cours.
* Politologue italienne, professeur à l’Université de Pise, membre du comité de rédaction de la ‘‘Revue Tunisienne de Science Politique’’.
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