L’hommage à Hamadi Agrebi, l’artiste du ballon rond, parti rejoindre un monde meilleur, ne saurait être dissocié de l’effort du patron et sélectionneur de l’époque, Abdelmajid Chettali. Encore merci à ‘‘Si Majid’’ de ce que vous aviez accompli puisqu’on ne le fait jamais assez de votre vivant et tant qu’il est encore temps par reconnaissance à la qualité du héros que vous aviez incarné.
Par Dr Mondher Azzouzi *
Il ne fût peut-être pas le meilleur footballeur tunisien de tous les temps mais assurément le plus grand et le plus fin technicien du ballon rond qu’ait connu la Tunisie à travers le temps. Avec un toucher de ballon exceptionnel, il donnait un sens à celui-ci pour l’orienter à sa guise sans que l’adversaire n’en soit informé et pour répondre à l’attente du public aussi friand de ses prouesses qu’heureux d’en être agréablement surpris. Le résultat importait peu au même titre que le nom de l’adversaire ou l’importance de l’enjeu. Tout le monde repartit chez soi satisfait de la pièce théâtrale à laquelle il venait d’assister et qui venait de se jouer devant lui mais dont la tête d’affiche était assurée par le magicien «Aguira». Son élégance ajoutée à sa finesse dans le jeu faisait de lui incontestablement le Gianni Rivera tunisien. Avec quasiment le même style de jeu de régisseur dans les passes décisives qu’il distillait tel un caviar à ses coéquipiers. Ou quand il fallait conclure lui-même pour assigner au cuir sa destinée dans les filets.
Abdelmajid Chettali a su ménager le caractère fragile d’un grand talent
Milan Krstic, le technicien yougoslave fût celui qui l’avait découvert pour le lancer si jeune parmi les joueurs déjà confirmés de son club à l’ère d’une grande épopée de celui-ci. Qu’il trouve ici le témoignage de notre gratitude en post-hum pour son travail effectué au profit de toute une génération à la fois au sein du club mais aussi au profit de tout le football tunisien par ricochet.
Il me semble par ailleurs que le grand mérite devrait revenir à Abdelmajid Chettali sans lequel Hamadi n’aurait pas été de la belle aventure d’antan. Le prodige sfaxien avait déserté l’équipe nationale sous la direction du rigide André Nagy, qui n’avait pas su ménager le caractère fragile de ce grand talent à qui il n’était pas question de demander de revenir défendre. Sous peine de le voir perdre son potentiel offensif et qu’il n’osait exprimer au technicien robotisé d’origine hongroise. Hamadi ne se sentait pas bien dans sa peau dans ce milieu hostile loin de ses bases.
Nagy limogé c’est Chettali qui prit la relève pour tout transformer de fond en comble et pour créer une cohésion synergique au sein du désormais «club Tunisie». Ses priorités consistaient en l’abolition de l’esprit des clubs et des clans, l’ancrage de celui de jouer pour la patrie, le «made in Tunisia» et surtout faire revenir à tout prix l’artiste du Club sportif sfaxien (CSS), Hamadi Agrebi, parmi l’élite de l’épopée argentine. Il a été à sa rencontre spécialement à cet effet chez lui et lui avait donné toutes les garanties de jouer dans des conditions optimales non à sa guise mais sous sa responsabilité protectrice. Le volet technique et tactique avait mûri dans l’esprit de l’entraîneur pour palier au défaut de couverture de repli défensif .
Tarak Dhiab, l’autre maître à jouer, formait avec Agrebi le duo magique du milieu offensif pour faire le jeu devant et servir le roublard Mohamed Ali Akid (RIP) ainsi que le fer de lance et si redoutable Témime Lahzami. Le repli et la couverture défensive étaient assurés par l’homme aux trois poumons : Nejib Ghommidh, en véritable porteur d’eau inlassable. Une défense en toute complémentarité et à l’esprit aussi moderne qu’avant-gardiste dont des latéraux qui montrent sans cesse pour faire le surnombre en attaque à laquelle une place était gardée devant au joker du jour.
La joie de jouer et le bonheur d’être en équipe de Tunisie
De l’aveu d’un ancien joueur héros de la même époque l’ambiance était vite devenue fantastique de joie de jouer et de bonheur d’y être, en plus tellement fraternelle. Se retrouver pour s’entraîner ensemble toutes les semaines était devenu un réel plaisir. «Si Majid» faisait preuve de qualités de fin psychologue, tel un aîné tout en alliant fermeté et exigence. Le résultat ne se fit pas attendre et on sait tous ce qu’il en était advenu de cette génération. Non seulement la superbe prestation en phase finale de coupe du monde en 1978 en Argentine mais quasiment une Coupe d’Afrique des nations soufflée à la Tunisie face au Ghana à Accra par les tricheries ancestrales et chromosomiques de l’arbitrage africain.
Il est toutefois utile de préciser que de l’aveu de tous dont un article toujours disponible du célèbre “France football” dirigée par Max Urbini, que la Tunisie était de loin la meilleure équipe d’Afrique en cette période.
Au risque de le répéter avec insistance, Agrebi et à l’instar de Gianni Rivera, était le genre de joueur qui faisait des prodiges techniques quand il était en confiance et quand l’entourage était propice sans hostilité pour se sentir bien dans sa tête. Le profil de joueurs sur qui on ne crie pas dessus et qui ne supportent pas d’être hués. Abdelmajid Chettali l’avait compris et a su le gérer afin qu’il donne le meilleur de lui-même. Et si on en parle encore aujourd’hui, c’est parce que cette prestation n’a jamais été égalée à ce jour.
L’hommage à l’artiste parti rejoindre un monde meilleur ne saurait être dissocié de l’effort du patron et sélectionneur de l’époque. Encore merci à ‘‘Si Majid’’ de ce que vous aviez accompli puisqu’on ne le fait jamais assez de votre vivant et tant qu’il est encore temps par reconnaissance à la qualité du héros que vous aviez incarné.
Que Dieu ait l’âme du magicien, produit par vous pour l’avoir hissé dans l’arène. Sans quoi nous aurions probablement été privés de bien de choses. Et fasse que l’âme du défunt repose en paix au paradis éternel !
* Cardiologue à Lyon.
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