Le développement régional doit s’intéresser davantage aux conditions de vie dans les régions qu’à l’infrastructure de transport interrégional.
Par Mustapha Mezghani*
Suite au triste décès d’une femme qui devait accoucher à Tataouine, paix à son âme, les attaques ont repris contre les médecins, qualifiés de non-patriotes parce qu’ils rechignent à aller s’installer dans les régions intérieures.
Désolé de ne pas être d’accord avec cette approche, car on ne peut reprocher aux médecins d’être, simplement, des êtres humains et des citoyens comme tous les autres, qui aspirent à vivre dans des conditions dignes et surtout à assurer un bon cadre de vie et le meilleur avenir possible pour leurs enfants. Or, on ne peut sérieusement reprocher à beaucoup d’entre eux de ne pas se satisfaire des conditions offertes dans les régions : pas de qualité de vie, pas d’écoles de bon niveau où pour inscrire leurs enfants, pas de loisirs, pas ou peu de possibilités de sorties, etc.
Le cadre de vie en question
Un médecin m’avait dit un jour: «J’ai eu une opportunité pour aller m’installer à… (chef lieu d’un gouvernorat), mais j’y ai renoncé car il n’y a pas d’école où je puisse inscrire ma fille». Ce médecin a la possibilité de s’installer dans le privé, à Tunis, Sfax, Nabeul ou Sousse, ou même de partir à l’étranger. Non seulement il peut ainsi gagner davantage, mais aussi vivre dans de meilleures conditions.
Le cas des médecins n’est pas isolé. Il en va de même pour les ingénieurs et d’autres métiers de compétence. Combien de Tunisiens ont étudié à l’étranger et y sont restés? Combien de Tunisiens ont étudié en Tunisie et sont partis s’installer à l’étranger? Ceux qui restent en Tunisie vont généralement chercher à habiter et à travailler dans des grandes villes. Ce n’est pas parce qu’ils ne trouvent pas de travail ailleurs, et notamment dans les villes intérieures où la demande est pourtant importante, mais leur confort de vie et celui de leur famille passe avant tout et cela est humain. Doit-on les en blâmer ?
Un chef d’entreprise, qui avait investi dans l’une des zones de développement régional, m’a confié: «Le coût de l’investissement dans ces zones est, finalement, de loin plus élevé que dans les régions côtières, malgré la prime d’encouragement à l’investissement régional consenti par l’Etat. Car, non seulement il faut tout ramener des grandes villes (équipements, pièces de rechange, services divers, etc.), mais il faut aussi prévoir des moyens de transport pour les cadres, qui n’acceptent pas de vivre près des usines, mais uniquement dans les villes, et pas n’importe quelle ville, car ils tiennent aussi à assurer leur confort de vie et celui de leurs enfants.»
Il faut faire l’expérience d’une installation professionnelle dans les régions intérieures pour prendre conscience des énormes problèmes que cela poserait à un médecin, un ingénieur ou un investisseur qui ne sont pas de la région. Que dire alors d’un investisseur étranger?
Vrais problèmes, mauvaises solutions
Dans l’un de ses discours datant des années 1960, Bourguiba disait: «Si vous ne voulez pas que les gens émigrent, il faut leur ramener ce qu’ils cherchent chez eux». On ne peut pas dire qu’on a fait beaucoup de choses depuis pour aider à fixer les gens chez eux et à réduire l’exode rural ou l’émigration à l’étranger.
Le problème du développement régional est malheureusement pris du mauvais côté et les solutions proposées, à court terme, depuis la révolution, risquent d’avoir un effet contraire.
Les diplômés des grandes écoles ne s’installaient-ils pas à Gafsa dans les années 60 et 70 avant que la direction générale du Groupe chimique tunisien (GCT) soit installée à Tunis? Ils allaient parfois directement de Paris à Gafsa, s’y installaient et s’y plaisaient même, car Gafsa, à l’époque, leur offrait un cadre de travail et de vie agréable. Malheureusement ceci n’est plus le cas, et si les cadres originaires de Gafsa tiennent encore, actuellement, à travailler au GCT, c’est parce qu’ils y sont mieux payés qu’ailleurs. Et pas pour autre chose.
Les investisseurs, étrangers ou tunisiens, cherchent de plus en plus des endroits où ils peuvent trouver les compétences humaines dont ils ont besoin et où il est agréable de vivre, en plus d’un endroit où ils trouvent des écoles pour leurs enfants. Ce qui explique que les industriels de la confection ont préféré, dans leur majorité, s’installer dans la région du Sahel, c’est parce que la main d’œuvre y est abondante et qu’elle compte une école française et de nombreux établissements hôteliers. Sfax, quant à elle, a beaucoup perdu de son attrait pour les investisseurs étrangers depuis la fermeture de l’école française dans cette ville du sud-est. Elle a, cependant, profité de l’apport soutenu des investisseurs locaux.
Etudions donc les vrais problèmes pour essayer de trouver les vraies solutions. Guérissons le mal au lieu de chercher à en atténuer les symptômes.
Les autoroutes sont nécessaires, mais…
Le problème du développement régional n’est, malheureusement, pas pris du bon côté. Il est utopique de vouloir faire du développement régional uniquement par la construction d’autoroutes ou de zones industrielles, qui ne ramèneront pas forcément les investisseurs, mais faciliteront l’exode des gens originaires de la région.
Le développement régional se fera naturellement quand on offrira de meilleures conditions de vie dans les régions, en faisant en sorte que les gens aient envie de quitter les villes côtières pour aller s’installer dans les régions intérieures.
Au lieu de construire des autoroutes, on ferait donc mieux d’investir pour améliorer le cadre de vie dans les régions intérieures afin que les gens puissent y trouver de écoles et des lycées, publics et privés, dignes de ce nom, ainsi que des services de santé de qualité et des loisirs semblables à ceux existant dans les grandes villes. Ce n’est qu’ainsi que les cadres se décideront à s’installer dans ces régions pour profiter des opportunités qu’elles offrent.
Il est peut être aussi nécessaire de généraliser les avantages et facilités accordés pour les promoteurs de projets de développement régional. Les villages français, par exemple, arrivent à prendre en charge le loyer des petits commerces pendant 2 à 3 ans, rien que pour encourager les commerçants à venir s’installer.
Pour revenir aux autoroutes, disons qu’elles sont toujours utiles, mais elles risquent aussi de tuer les commerces dans les régions qu’elles traversent, car elles n’encouragent pas les voyageurs à s’y arrêter. L’élargissement des voies en routes nationales à deux fois deux voies est largement suffisant dans un premier temps, moins coûteux et plus profitable économiquement. Investissons aussi l’argent pour le développement régional dans les régions elles-mêmes pour les rendre plus attractives et plus agréables à vivre.
Je me retiendrais presque de dire que le ministère du Développement régional ne doit pas être installé à Tunis, mais à Sidi Bouzid et celui des Affaires religieuses à Kairouan, car je risque de me faire lyncher.
* Ingénieur concepteur en informatique, Pdg de Tunisie TradeNet (TTN).
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