Quatre années après l’intronisation du conseil municipal de Hammamet, son bilan est très en-deçà des attentes de la population, et ce, dans tous les domaines. Les raisons sont certes multiples, mais la responsabilité incombe en premier lieu aux gestionnaires de la ville, les élus municipaux qui passent le plus clair de leur temps à régler des comptes au lieu de rendre des comptes aux citoyens qui les ont élus. (Illustration: les zones qui constituent l’arrière-pays hammamétois sont en train de se densifier à vue d’œil.)
Par Dr Salem Sahli *
Rien ne va plus au sein du conseil municipal de la ville d’Hammamet. Depuis le début de l’année 2021, les réunions du conseil sont systématiquement différées faute de quorum et se déroulent par la suite en présence de quelques conseillers qui se comptent sur les doigts d’une main sur les 30 qui composent le conseil. Il y règne une ambiance délétère dont les symptômes sont une crise de confiance entre une bonne partie des conseillers et le président du conseil, des accusations mutuelles d’incompétence, d’irresponsabilité, d’opacité dans la gestion des affaires municipales, de blocage voire même de complot…
Ces tiraillements étaient prévisibles dès l’entame du mandat en juin 2018 étant donné la mosaïque du conseil municipal d’une part, et la jeunesse et l’inexpérience d’une grande partie de ses membres d’autre part.
La gestion municipale requiert en effet des compétences, des savoirs et des savoir-faire spécifiques et cela ne s’improvise pas mais s’acquiert au fil des années. Le maire, qui possède cette expérience, n’a pas su et/ou pu constituer une équipe homogène autour de lui et la diriger avec des prérogatives et des missions claires au service de la ville et des habitants.
Nous avons eu droit à des commissions municipales qui fonctionnent de façon cloisonnées et obéissent à une «gestion maison». Beaucoup de présidents de commission parlent de «ma commission», «mon projet», «mes attributions», «mon budget»… Or, il me semble plus sage et plus productif que le «nous collectif» remplace le «je individuel».
Quid du bilan municipal ?
Quatre ans après l’élection démocratique du nouveau conseil municipal, le bilan est décevant eu égard aux attentes des habitants de Hammamet. Beaucoup d’initiatives ont certes vu le jour, mais leur multiplication a brouillé la lisibilité du projet municipal (s’il en existe un). L’essentiel des réponses constituent des approches partielles et sectorisées. Les projets véritablement structurants et intégrateurs de toutes les dimensions de la vie locale dans leur diversité restent rares, très rares.
Pourtant, l’arrivée à la tête de la ville de Hammamet d’un conseil municipal élu a fait naître l’espoir de voir enfin les dossiers du plan d’aménagement urbain, de l’espace Yasmina, de la maison des associations, de la gestion des déchets, du partenariat public-privé, du financement municipal des associations, de la gouvernance et de la démocratie locales… résolus ou en voie de l’être. Que nenni !
Le plan d’aménagement urbain avance comme une limace
S’agissant du Plan d’aménagement urbain (PAU), celui-ci «joue à l’arlésienne». On en entend beaucoup parler mais on ne voit rien de concret depuis que, le 29 mai 2020, le conseil municipal de Hammamet a approuvé la décision de procéder à une énième révision du Plan d’aménagement qui, rappelons-le, date de 1977.
Quarante-cinq ont passé et la ville d’Hammamet a connu une métamorphose complète qui la rend aujourd’hui méconnaissable à un visiteur des années 80 voire 90. Hammamet est la plus peuplée du gouvernorat de Nabeul (83.000 habitants). Elle possède le plus grand périmètre communal (131 km2) et sa dynamique urbaine n’est pas près de s’arrêter.
Nous le constatons chaque jour : les zones qui constituent en gros l’arrière-pays hammamétois sont en train de se densifier à vue d’œil. Les dérogations à caractère social et les constructions illicites ont pris de grandes proportions dans la production de logements individuels. Jusqu’où ira ce mouvement en l’absence de règlement d’urbanisme ?
Le risque existe qu’une grande partie de la ville échappe à toute réglementation et que l’on voit surgir d’autres «Nebkas**» où pour tout urbanisme, il n’y aura plus qu’à procéder, comme on le fait maintenant, par touches de réhabilitation.
Les gestionnaires de la ville se transformeront en «fournisseurs de dérogations», et on y dépensera beaucoup plus d’argent que si on avait anticipé et pris dès le départ les mesures nécessaires pour loger et subvenir aux besoins des populations qui ne manqueront pas d’affluer vers ces zones. Aussi, la révision du PAU devrait-elle être considérée comme la priorité des priorités. Malheureusement, le conseil municipal ne semble pas en prendre le chemin. Le projet de révision avance comme une limace.
L’espace Yasmina à l’abandon
Quant à l’espace Yasmina, là aussi, que d’espoirs déçus ! Autant je comprends, sans le justifier, le temps perdu à relancer la procédure de révision du Plan d’aménagement urbain de la ville de Hammamet, autant je dénonce l’immobilisme, l’indifférence et l’irresponsabilité du conseil municipal dans la gestion de l’espace Yasmina.
Plus encore, j’accuse ce conseil d’avoir délibérément mis en péril ce patrimoine auquel les habitants sont très attachés. Le site est à l’abandon. Il a été transformé en dépotoir et les promesses de sa réhabilitation et sa mise en valeur, maintes fois répétées, se sont comme par enchantement évaporées. Ceci ne fera qu’attiser les convoitises des promoteurs privés pour l’espace.
Des associations livrées à elles-mêmes
Toujours d’actualité malgré l’arrivée à la tête de la municipalité de Hammamet d’un conseil élu avec aux avant-postes des personnes convaincues de l’importance de l’action associative pour un territoire, le soutien apporté aux associations laisse à désirer. La ville compte une cinquantaine d’associations dont une dizaine seulement est active de façon régulière. Les autres peinent à émerger bien qu’elles recèlent toutes des compétences et des savoir-faire. Mais peut-on exiger d’une association d’être active régulièrement et bénévolement au service de l’intérêt général en l’absence de locaux pour abriter ses réunions et ses manifestations, de moyens matériels basiques pour planifier et organiser ses activités ? Beaucoup d’associations ne disposent même pas d’adresses permanentes, elles sont sans domicile fixe.
Le projet de réhabilitation de la maison des associations répond à un double objectif : permettre la rencontre des associations dans un espace qui leur est dédié et les doter du minimum pour travailler d’une part, et mettre en synergie et coordonner les compétences qui existent dans les structures associatives au lieu de les segmenter d’autre part.
C’est le sens du combat mené par le réseau associatif de Hammamet. Malheureusement, les autorités locales ne l’entendent pas de cette oreille : le projet de la maison des associations est sans cesse renvoyé aux calendes grecques, tandis que l’octroi des subventions aux associations n’obéit pas encore aux dispositions du Décret n° 2013-5183 du 18 novembre 2013 et ne garantit pas toutes les conditions de transparence, d’équité, de clarté et d’indépendance.
Quatre années après l’intronisation du conseil municipal, le bilan est très en-deçà des attentes de la population, et ce, dans tous les domaines. Les raisons sont certes multiples, mais la responsabilité incombe en premier lieu aux gestionnaires de la ville, les élus municipaux qui passent le plus clair de leur temps à régler des comptes au lieu de rendre des comptes aux citoyens qui les ont élus.
Pauvre Hammamet, combien de temps encore devras-tu attendre pour trouver des remèdes à ta crise de croissance ? Pourtant, je suis convaincu que ton mal est curable pour peu que l’on veuille vraiment le traiter. Et le traitement ne peut être que le fruit d’un débat qui réunira tous les belligérants. Un débat franc, contradictoire, certes, mais loyal, serein et constructif. Et pour ce faire, je pense que l’initiative doit venir du chef, du président du conseil. Ce geste ferait taire ceux qui l’accusent d’autoritarisme et contribuerait à apaiser la situation. C’est en quelque sorte un «je vous ai compris» de la part du maire qui prépare le terrain à une réconciliation, à une refonte de la méthodologie du travail du conseil municipal, à une clarification des responsabilités et des prérogatives et à la reconstruction de la confiance qui fait actuellement défaut. Bref à un nouveau départ sur des bases plus claires et plus saines. Il lui reste à peine une année pour bien faire, mais mieux vaut tard que jamais.
* Médecin et militant associatif.
** Nebka : quartier d’habitats anarchiques au nord de Hammamet
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