Connue pour ses élégies, Al-Khansā’ (Tumādir bint ‘Amr Al-Khansā’), née avant 610 dans le Nejd, en Arabie préislamique, au sein d’une famille riche de la tribu des Banū Sulaym, et morte après 630, fut l’une des plus grandes poétesses du monde arabe.
L’adjectif Khansā’ de son surnom désigne par extension la gazelle.
La mort de son frère Mu’āwiyah et de son demi-frère Sakhr, chefs de tribu tués lors d’une razzia avant la naissance de l’islam, plonge Al-Khansā’ dans un deuil profond. Les élégies funèbres qu’elle compose à la suite de leur décès et celle écrite en l’honneur de son père feront d’elle le poète le plus célèbre de son temps.
À l’époque, les poétesses écrivent des élégies pour les morts et les déclament devant la tribu lors de compétitions publiques. Les élégies d’Al-Khansā’ en honneur de ses frères morts au combat lui valent respect et notoriété.
Lorsque sa tribu toute entière se convertit à l’islam, elle la suit à Médine pour rencontrer le prophète Mohamed. La poétesse continue cependant à porter les vêtements de deuil traditionnels de sa tribu en signe de dévotion envers ses frères. Lorsque ses quatre fils trouvent la mort dans la bataille de Qādisiya (637), entre les Arabes musulmans et les Perses sassanides lors de la conquête musulmane de la Perse, le calife Omar lui aurait écrit pour la féliciter de leur héroïsme et lui octroyer une pension.
Le poète arabe Al-Nābighah Al-Dhubyānī lui aurait dit : «Vous êtes la meilleure poétesse des djinns et des humains». D’après un autre récit, il lui aurait plutôt dit : «Si Abu Basir [un autre poète] n’avait pas déjà déclamé ses vers, j’aurais dit que vous êtes la plus grande poétesse des Arabes. Allez, vous êtes la plus grande poétesse parmi ceux avec une poitrine». Ce à quoi Al-Khansā’ aurait répondu : «Je suis la plus grande poétesse parmi ceux possédant des testicules aussi.»
Les poèmes d’Al-Khansā’, rassemblés sous le titre ‘‘Dîwān’’, témoignent du fatalisme païen des tribus de l’Arabie préislamique. Généralement courts, ils sont fortement imprégnés du profond désespoir qu’inspire la perte irréparable de la vie. Les élégies d’Al-Khansā’, modèle du genre, influenceront fortement celles qui seront composées par la suite.
«Fleurs étiolées du désert, elles n’ont point l’éclat des poésies classiques, mais leur arôme est plus enivrant. Monotones comme le désert lui-même, elles sont parfois grandioses comme lui. C’est toute la vie nomade qui revit en elles, avec sa rudesse et sa simplicité; tantôt farouche, tantôt chevaleresque, cette civilisation à peine ébauchée a je ne sais quel attrait pour nos civilisations avancées, qui se penchent vers elle avec l’intérêt affectueux qui incline le vieillard vers l’enfant», écrit le P. De Coppier S. J. à propos des poèmes antéislamiques.
Dieu! Qui découvrira à l’œil de Barrâq mes luttes et mes douleurs?
O Kulaîb, o Uqaîl, mes frères,
O Gunaîd! secourez-moi dans mes peines.
Votre sœur subit, matin et soir, frères cruels, d’insidieux assauts.
Non, pourtant, le Persan n’use point de violence,
il n’a point osé enfreindre les lois du respect.
Que l’on me lie, que l’on m’enchaîne,
que toutes les épreuves m’accablent à la fois;
Toujours votre parole me sera odieuse :
moins amer est pour moi le calice de la mort.
Qui donc m’a trahie? Qui m’a livrée aux cavaliers étrangers ?
Est-ce vous, fils de Anmâr, race impudente?
Périsse, ô Iyâd, votre honteux marché!
Quel aveuglement a donc glacé votre prunelle?
O fils d’al A’mas, si vous ne rompez pas
les derniers câbles de l’espoir de ’Adnân,
Prenez courage, affermissez vos cœurs.
Toute défaite peut se racheter par des victoires.
Dites à ’Adnân: Chère tribu, ceins-toi pour le combat,
vite, courez sus aux fils des Persans !
Que vos étendards se déploient dans leurs plaines,
que vos épées étincellent aux clartés du matin!
Fils de Tarlib, marchez, aidez vos frères à vaincre :
loin de vous la somnolence, le sommeil inerte.
Ne léguez pas à vos fils un héritage de honte.
Marchez jusqu’à la mort dans les sentiers de l’honneur!
‘‘Le Diwan d’Al-Khansa : d’une étude sur les femmes poètes de l’ancienne Arabie’’, par le P. De Coppier S. J. ; Beyrouth ; lmprimerie catholique S. J. ; 1889.
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