La récente volte-face de la Turquie et du Qatar vis-à-vis des mouvements islamistes que ces deux Etats soutenaient depuis 2011, année du déclenchement du fameux «Printemps arabe», désormais appelé «Hiver islamiste», provoque une véritable panique au sein du mouvement international des Frères musulmans, y compris au sein d’Ennahdha, sa succursale au pouvoir en Tunisie.
Par Imed Bahri
Recep Tayyip Erdogan croyait qu’en hébergeant les propagandistes des Frères musulmans en général et égyptiens en particulier et en leur créant des chaînes télévisées aux programmes hostiles au président Abdelfattah Al-Sissi, cela permettrait de faire tomber le régime en place en Egypte depuis 2013 et de récupérer l’influence qu’il a perdu dans ce pays avec l’éviction de Mohamed Morsi, le président islamiste.
Erdogan change son fusil d’épaule
Peine perdu, huit ans après, non seulement Al-Sissi est toujours là, droit dans ses bottes, mais le président putschiste et dictateur décrié par les islamistes a le vent en poupe, bénéficie d’une bonne image en Europe et aux Etats-Unis et continue à gagner des points sur les plans intérieur et extérieur sur ses adversaires, les Frères musulmans. Pis encore pour Erdogan : c’est la Turquie qui fait face à une grave crise économique et qui, du fait de son soutien aux mouvements islamistes, est de plus en plus isolée dans le monde.
Pragmatique, ou plutôt calculateur et manouvrier, Erdogan s’est finalement résigné à changer son fusil d’épaule pour ne pas dire qu’il a retourné la veste et tourné le dos à ses alliés (et obligés) islamistes pour se rapprocher d’Al-Sissi. Et pour cela, il est obligé de montrer patte blanche et de prouver qu’il est prêt à ouvrir une nouvelle page avec l’Egypte. Pour commencer, il a accepté de sacrifier les opposants égyptiens qu’il a hébergés au cours des huit dernières années.
Séisme dans la galaxie des mouvements islamistes
Cette volte-face résonne comme un séisme dans la galaxie des mouvements islamistes, à commencer par celui des Frères musulmans, y compris la succursale tunisienne de ce mouvement, le parti Ennahdha, au pouvoir en Tunisie, qui sent que ses jours sont désormais comptés et que le vent est en train de tourner en sa défaveur. Il suffit lire les commentaires des membres de ce mouvement dans les réseaux sociaux pour mesurer l’état de panique qui s’est emparé d’eux depuis l’annonce du revirement de la Turquie d’Erdogan, mais pas seulement, puisque les nouvelles en provenance du Qatar, autre Etat soutenant jusque-là les Frères musulmans, sont tout aussi inquiétantes pour les partisans de Rached Ghannouchi.
Pour ne rien arranger, la dernière visite officielle de trois jours du président tunisien Kaïs Saïed en Egypte et la qualité de l’accueil officiel et populaire qui lui a été réservé a moyennement été appréciée par les dirigeants d’Ennahdha, qui ont crié au scandale. Ce qu’ils craignent c’est la constitution d’un axe Tunis-La Caire où les présidents Saïed et Al-Sissi, que tout apparemment sépare, joueraient le rôle de fer de lance de la guerre contre l’islam politique en Afrique du Nord. Et ces craints ne sont pas infondées si l’on en juge par les récentes déclarations des deux chefs d’Etat.
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