Une fonctionnaire de la police française, Stéphanie M., 49 ans, a trouvé la mort des suites des coups de couteau que lui a assénés Jamel Gorchene, 36 ans, un assaillant présumé de nationalité tunisienne qui, lui aussi, est décédé sur place. Comme à chaque fois, en Tunisie, on est pris d’effroi à l’annonce d’un attentat terroriste en Europe : on prie Dieu pour que le présumé terroriste ne soit pas Tunisien et on se cache la face jusqu’à l’annonce officielle des résultats de l’enquête policière. Et, presque systématiquement, on a eu droit au même verdict : le coupable est un terroriste tunisien…
Par Moncef Dhambri *
On ne s’habituera jamais à ces images de la terreur, et pourtant, depuis quatre ou cinq ans, elles nous hantent chaque jour et elles se répètent. Nous avons eu droit à l’attentat de Nice, le 14 juillet 2016, où Mohamed Lahouaiej-Bouhlel, un Tunisien de 31 ans résidant en France, a lancé à pleine vitesse un camion-bélier sur la foule qui célébrait la fête nationale française, faisant ainsi 86 morts et 458 blessés. La même année, le 19 décembre, en Allemagne, un autre Tunisien, Anis Amri, procédant de la même manière, a tué 12 personnes sur le marché de Noël à Berlin. Le 20 octobre 2020, une attaque au couteau contre la basilique de Nice, en France, perpétrée par un récent migrant tunisien, Brahim Issaoui, a fait trois morts et nous a valu, nous autres Tunisiens, les mêmes désolation, tristesse et humiliation…
La Tunisie a perdu des dizaines de milliers de ses meilleures compétences
Nous n’y pouvons rien –autant que vous, nos chers amis et voisins de la rive septentrionale de la Méditerranée. Le fléau terroriste s’est abattu sur vous, comme sur nous, et il a fait autant de victimes chez vous comme chez nous. Et, peut-être sans que vous le sachiez, l’organisation terroriste de l’Etat islamique (EI) –qui n’est ni de notre ressort ni de notre responsabilité–s’en est pris à vous comme à nous pour les mêmes raisons : Daëch, ce produit non-tunisien (!), a frappé les démocraties occidentales pour les mêmes valeurs de progressisme, de modernisme, d’universalisme et d’ouverture sur le monde que celles que nous autres, Tunisiens, chérissons.
N’oublions jamais que, à mi-parcours de notre transition démocratique, les efforts de notre révolution nous ont valu le prix Nobel de la paix 2015.
Les errements de notre jeune démocratie ont été nombreux, certes, nous nous débattons encore à la recherche de la meilleure manière de réaliser ce processus de transformation, nous avons failli remettre nos système social et économique sur les bonnes voies, mais nos intentions sont bonnes et souhaitons ardemment réussir notre refondation générale.
Chers amis et voisins européens, sachez que notre vœu le plus sincère porte toujours sur cette volonté d’offrir à notre jeunesse les mêmes droits, les mêmes idéaux de «justice, travail, liberté et dignité» qui ont «dégagé» la dictature de Ben Ali.
Nous n’y parvenons pas pour l’instant : chaque jour depuis le 14 janvier 2011, les pannes économiques de notre pays et le chômage endémique qui en résulte poussent nos jeunes, par milliers et dizaines de milliers, à courir les risques de la mort garantie d’une nouvelle vie incertaine en Europe et ailleurs en Occident. Cette quête de nouveau départ a coûté à la Tunisie la perte de près d’une centaine de milliers des meilleures de ses compétences : médecins, cadres paramédicaux, ingénieurs, universitaires, chercheurs et autres cerveaux et main-d’œuvre…
Comme vous, chers amis occidentaux, nous déplorons, nous dénonçons et rejetons les crimes des Lahouaiej, Amri et Jamel G. et partageons votre peine. Nous irons même jusqu’à faire nôtre ce tweet de la raciste Marine Le Pen qui, très tôt et avant même que les premiers éléments de l’enquête policière sur l’attentat de Rambouillet n’aient été rendus publics, a déclaré ne plus en pouvoir que «les mêmes horreurs se succèdent … [et qu’il s’agisse toujours] des mêmes profils coupables de cette barbarie, les mêmes motifs islamistes…»
Ne pas confondre islam et islamisme
Nous n’irons pas jusqu’à renvoyer à la xénophobe présidente du Rassemblement national (RN) français ce détail important que le présumé coupable Jamel Gorchene, a, selon le premier rapport de la police française, passé un tiers de sa vie sur le sol français, c’est-à-dire depuis l’âge de 24 ans jusqu’à 36 ans, et qu’«il se serait radicalisé pendant le confinement».
Gardons, plutôt, présent à l’esprit que c’est l’ensemble de la communauté démocratique mondiale qui est visée par ces attaques terroristes –que celles-ci soient le fait d’une horrible organisation hautement structurée, d’un «loup solitaire», d’une «bombe isolée» ou d’un «terrorisme low-cost».
Il est vrai qu’au plus fort du tsunami révolutionnaire des Printemps arabes, la Tunisie était devenue «le plus grand exportateur de djihadistes au monde» en rapport avec le nombre de ses habitants et que, par milliers, les jeunes de notre pays ont rejoint les rangs de l’EI. Depuis deux ou trois ans, cette dernière –une créature non-tunisienne, rappelons-le !– a perdu pied, ou presque, en Syrie et en Irak, a muté, s’est déplacée ou est passée sous le radar du renseignement international pour continuer de frapper encore là où elle peut…
Tant que cette guerre se poursuit, que nos amis européens et occidentaux sachent choisir leur camp : celui pour lequel la Tunisie a toujours opté, à savoir la lutte contre le terrorisme ou celui de ceux qui, comme Marine Le Pen, confondent islam et islamisme, un raccourci qui met dans le même sac un, deux, trois, voire quelques dizaines de fous de la religion avec les 4 ou 5 millions de musulmans français (en plus des 2 à 3 millions de migrants d’Afrique du nord), un raccourci qui justifierait également la fermeture hermétique, totale et définitive des frontières de la citadelle européenne.
Ce choix s’imposera à nous tous et toujours, et seules la vigilance, la mobilisation de toutes les démocraties et la solidarité entre elles permettront de mettre à bas définitivement le monstre terroriste.
Donnez votre avis