Quelque chose est en train de changer dans la planète Ennahdha : les dirigeants du mouvement islamiste tunisien sont en train d’élaborer de nouveaux éléments de langage en perspective de revirements à venir. Le serpent islamiste s’apprête à changer une nouvelle fois de peau…
Par Imed Bahri
Les déclarations des dirigeants d’Ennahdha et leurs interventions dans les médias depuis le début de cette semaine se caractérisent par une mollesse inhabituelle. Le discours est plus apaisé que d’habitude et se veut même apaisant. On appelle au dialogue, encore et toujours. On parle de la paix comme d’un objectif primordial. On multiplie les rencontres et se dit prêt au dialogue, sans conditions préalables. À l’égard de leur poil à gratter habituel, le président de la république Kaïs Saïed, les dirigeants islamistes ont des paroles lénifiantes.
Qu’est-ce qui nous vaut ce soudain assagissement qui ressemble à une rentrée dans les rangs ? Plus d’imprécations, plus de vociférations, plus de surenchères, plus d’insultes envers les adversaires. On croit rêver. Même Abir Moussi, la tonitruante présidente du Parti destourien libre (PDL), qui les déteste cordialement et ne rate aucune occasion pour le leur crier à la face, avec un haut-parleur si possible, ils voudraient bien l’éviter, l’oublier, ou faire comme si elle n’existait pas. Certains d’entre eux chuchotent même qu’ils sont prêts à ouvrir une nouvelle page avec elle et son parti.
L’amnésie comme instrument de pouvoir
Les interventions, hier, mardi 11 mai 2021, de Abdellatif Mekki, sur Mosaïque FM, et de Maher Madhioub, sur Diwan FM, sont à cet égard des morceaux d’anthologie. À les croire, Rached Ghannouchi et Ennahdha n’ont aucun problème avec l’Arabie saoudite, le leader islamiste aurait même des relations très anciennes et très profondes avec les dirigeants saoudiens. D’ailleurs, ajoute-t-on, il va bientôt se rendre dans ce pays. Fini donc le temps où les dirigeants islamistes tunisiens vouaient les dirigeants saoudiens aux gémonies, stigmatisaient leur despotisme et les accusait de soutenir la contre-révolution en Tunisie.
Et l’Egypte de Abdelfattah Al-Sissi ? Aucun problème. Ennahdha n’a jamais pris une position hostile aux dirigeants de ce pays. Et même après le coup d’Etat militaire ayant destitué le président élu, le dirigeant des Frères musulmans, Mohamed Morsi, en 2013, Ennahdha a tenté, à travers son président, une médiation pour rétablir la paix et la stabilité ans ce pays frère, explique sans ciller, M. Madhioub. Ghannouhi est-il prêt à se rendre en Egypte ? «S’il est invité officiellement au Caire, il s’y rendra sans problème», répond M. Madhioub, ajoutant qu’«Ennahdha n’a qu’une seule ligne rouge, l’entité sioniste», une ligne rouge de circonstance, dictée par l’actualité sanglante à Jérusalem, car, il n’y a pas longtemps, Rached Ghannouchi avait rencontré, sans états d’âmes, les dirigeant de l’Aipac, le fameux lobby sioniste aux Etats-Unis.
Oubliées (si vite !) les insultes proférées, il y a seulement quelques semaines, par les dirigeants d’Ennahdha (n’est-ce pas Rafik Bouchlaka ?), à l’encontre de l’Egypte et d’Al-Sissi, suite à l’accueil chaleureux que Le Caire et son «raïs» avaient réservé à Kaïs Saïed lors de sa visite officielle au Caire ?
Une métamorphose prévisible voire téléphonée
Cette métamorphose en cours ne doit pas surprendre. Elle est même prévisible voire téléphonée. Les dirigeants d’Ennahdha, des serpents vénéneux qui changent souvent de peau, semblent inquiets des changements intervenus récemment dans la géopolitique régionale avec le rapprochement inattendu entre leurs alliés, la Turquie et le Qatar, et leurs ennemis, l’Arabie saoudite, l’Egypte et les Emirats arabe unis. Aussi se sentent-ils dans l’obligation de revoir de fond en comble leurs positionnements et il n’est pas interdit de penser qu’ils se jetteront bientôt dans les bras de leurs ennemis d’hier avec le même aplomb qu’ils avaient mis, hier, à les insulter.
Souvenons-nous de Rached Ghannouchi chantant les louanges du dictateur («Pour nous, il y a Allah au ciel et Ben Ali sur terre») puis lui mordant la main, avant de renouer avec les sbires du président déchu et d’en nommer quelques uns parmi ses plus proches collaborateurs. Cette propension naturelle du chef islamiste à la trahison et à la félonie, les présidents Béji Caïd Essebsi et Kaïs Saïed en feront eux aussi l’expérience.
Dans ce sport du retournement de veste, les Nahdhaouis, on le sait, sont passés maîtres. Ce sont des gens sans foi ni loi, et surtout sans gêne. Ils sont capables de toutes les acrobaties et de tous les reniements, pourvu qu’ils gardent le pouvoir, car ils savent qu’en le perdant, ils devraient rendre des comptes. Et Allah sait ce qu’ils ont commis comme bêtises (et le mort est faible) au cours des dix dernières années…
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